Olivier Père

Eva de Joseph Losey

ARTE diffuse Eva (1962) de Joseph Losey lundi 25 juin à 23h45, en version restaurée.

Que ce soit aux Etats-Unis au début de sa carrière ou en Grande-Bretagne lors de son exil européen, Joseph Losey a abordé, souvent par le prisme du film noir, des sujets sociaux ou politiques d’un point de vue marxiste, en soulignant l’aliénation de ses personnages.

Avec Eva, Losey déplace les rapports de soumission et de domination sur le terrain de la passion amoureuse, et dresse le tableau d’une société décadente. Le film est l’adaptation du roman de James Hadley Chase. Un imposteur qui évolue dans les milieux mondains du cinéma tombe sous l’emprise d’une courtisane moderne. Cette femme vénale et calculatrice va transformer sa victime en pantin, au bout d’une série d’humiliations. Eva est d’abord né de l’envie de Jeanne Moreau de travailler avec Joseph Losey, dont la cote auprès des cinéphiles et de la critique était alors à son apogée. L’actrice soumet le nom du réalisateur aux frères Hakim, producteurs du film, et Losey est rapidement engagé. Lorsqu’il s’attelle à l’écriture d’Eva avec ses scénaristes, Losey transforme cette commande en projet personnel, ce qui entraîne de violents conflits avec les producteurs au moment du tournage et du montage. Il en résultera une version beaucoup plus courte et des changements musicaux (Michel Legrand remplace Miles Davis souhaité par le réalisateur) qui vont nuire à la réception générale du film. Losey a trouvé dans le roman de Chase l’occasion de parler « des difficultés des rapports humains entre les hommes et les femmes (…) qui aboutissent à cette horreur qu’est la guerre des sexes (…), à un conflit qui fait que l’homme et la femme se détruisent l’un l’autre. »* Selon l’analyse de Losey c’est la société qui est jugée coupable de ce gâchis, l’argent et le pouvoir interdisant la moindre possibilité de plénitude.

sur le fond comme sur la forme, Losey se rapproche du Michelangelo Antonioni de La Nuit et de L’Eclipse, auquel il emprunte le directeur de la photographie Gianni Di Venanzo et le cadreur Pasqualino De Santis. Une image grise et tranchante accompagne une glaciation émotionnelle et des dissonances douloureuses. Dans une Venise hivernale, Losey met en scène une cérémonie cruelle de désir et de haine, dominée par les interprétations magistrales de Jeanne Moreau et Stanley Baker, sans oublier la belle Virna Lisi dans le rôle de l’innocence sacrifiée.

 

*Losey de Pierre Rissient, éditions universitaires, Paris, 1966.

 

 

 

 

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