Olivier Père

Mata-Hari, agent H21 de Jean-Louis Richard

ARTE diffuse Mata-Hari, agent H21 (1964) de Jean-Louis Richard lundi 9 octobre à 22h20. Le film sera également disponible en télévision de rattrapage pendant sept jours sur le site d’ARTE.

Après Greta Garbo et Marlene Dietrich dans deux films rivaux en 1931, puis Sylvia Kristel en 1985 dans un titre bien plus oubliable, Jeanne Moreau incarne la célèbre espionne dans un film réalisé par son ex-mari Jean-Louis Richard, écrit et dialogué par François Truffaut. Jean-Louis Richard a été un proche collaborateur de Truffaut, acteur occasionnel (l’inoubliable critique de théâtre pétainiste du Dernier Métro) et surtout coscénariste de quatre de ses films. En 1964, la même année que Mata-Hari, on lui doit le scénario de La Peau douce, l’un des plus beaux films de Truffaut. Mata-Hari, agent H21 est resté dans l’ombre de l’œuvre de Truffaut. Il serait même inexact de dire qu’il a souffert de la comparaison avec les films du cinéaste puisque personne n’a vraiment pris la peine, depuis sa sortie, de s’y intéresser. Mata-Hari, agent H21 est truffaldien à plus d’un titre. On y retrouve Jeanne Moreau qui fut la première égérie de Truffaut dans Jules et Jim, réalisé deux ans auparavant. Il y a la même proximité chronologique entre les deux films et le temps de leur action, puisque Jules et Jim se déroule juste avant le début de la Première Guerre mondiale, théâtre des aventures de la belle espionne. Le reste de la distribution – notamment les petits rôles – évoque aussi le cinéma de Truffaut, avec des figures familières qui font des apparitions remarquées : Jean-Pierre Léaud, Marie Dubois, Albert Rémy (le père d’Antoine Doinel devient celui de Mata-Hari)… D’autres acteurs du film seront employés quelques années plus tard par Truffaut : Claude Rich, Henri Garcin, Charles Denner, Jean-Louis Trintignant…

Richard et Truffaut s’emparent du personnage historique de Mata-Hari pour dresser le portrait d’une femme libre et moderne déchirée entre ses activités d’espionne au service de l’Allemagne et sa passion pour un officier français qu’elle a été obligée de trahir. En écrivant pour Jeanne Moreau, les deux hommes n’ignorent rien de la personnalité de l’actrice, grande amoureuse dans la vie. Cette mise en abyme est aussi soulignée par le fait que Mata-Hari est une femme spectacle, une artiste de music hall qui attise le désir des hommes, sur scène et en coulisses, et continue de composer un personnage, de dissimuler sa véritable identité même lorsqu’elle n’est plus sur les planches. Cette confusion entre le théâtre et la vie, le jeu et la vérité rappelle immanquablement Le Carrosse d’or, chef-d’œuvre de Renoir. Truffaut avait baptisé sa société de production Les Films du Carrosse et Mata-Hari, agent H21 sera l’un des premiers films à être entièrement produit par Truffaut via cette société. Le rôle de Mata-Hari va comme un gant à Jeanne Moreau, et lui permet d’exprimer toute une palette de sentiments. Mata-Hari est à la fois dissimulatrice, aventurière, vénale, passionnée, prête à tout pour l’homme qu’elle aime. Elle apparaît sans cesse victime ou prisonnière du regard accusateur de la morale et de la société, comme le rappelle une scène où un policier la dévisage en silence. Le regard d’un homme sur une femme est un motif récurrent dans l’œuvre de Truffaut. A la manière de Truffaut, Jean-Louis Richard adopte un style romanesque et lyrique, aidé par la musique de Georges Delerue, et s’inspire de Hitchcock pour les scènes de suspens et d’action. Sa mise en scène est élégante, mais peine sans doute à s’émanciper de ses influences et de l’omniprésent Truffaut. On remarquera que ce dernier réutilisera une phrase dite ici par Jean-Louis Trintignant dans un de ses films ultérieurs, La Nuit américaine (écrit avec Jean-Louis Richard) : « Tu as peut être connu beaucoup d’hommes mais moi j’ai connu très peu de femmes. Alors cela fera une moyenne. »

Ce n’est pas la seule fois que Truffaut répète des phrases, des noms de personnages ou des situations dans deux films à plusieurs années d’intervalle, confirmant ainsi son désir d’établir des correspondances entre ses films, à la manière de Balzac et sa Comédie humaine. Ainsi la célèbre sentence « c’est une joie et une souffrance » exprimée au sujet du regard porté sur la beauté de la femme aimée sera d’abord dite par Jean-Paul Belmondo dans La Sirène du Mississippi, puis par Gérard Depardieu (sur scène) dans Le Dernier Métro, toujours à la même actrice, Catherine Deneuve.

De manière générale, on reconnaît dans les dialogues de Mata-Hari la patte de Truffaut, qui aimait les monologues littéraires. « Le bon sens s’est réfugié dans le cerveau des jolies femmes et des vieux prêtres » entend-on lors de la correspondance épistolaire entre les deux amants séparés par la guerre, avec les voix de Trintignant et Jeanne Moreau qui se superposent en écrivant et lisant leurs lettres.

Ecrin à la gloire de Jeanne Moreau – la diffusion de ce film permettra à ARTE de lui rendre un nouvel hommage après la programmation de Jules et Jim et Le Journal d’une femme de chambre lors de sa disparition cet été – Mata-Hari, agent H21 se rattache donc sans difficulté à l’univers de Truffaut.

La sortie du film fut entachée d’une accusation de plagiat, qui nuit à son succès. Quatre mois après la sortie du film, en juin 1965, un producteur attaqua le film en justice, accusant ses auteurs d’avoir plagié le scénario préexistant d’un projet sur Mata-Hari, que devait réaliser Edgar G. Ulmer. La Cour d’appel de Paris donnera raison au plaignant. Le film de Richard sera retiré de l’affiche et les Films du Carrosse devront verser une somme de 250 000 francs, prélevée sur les recettes du film. Ce scandale a sans doute contribué à l’oubli de Mata-Hari, agent H21, rarement cité lorsqu’on évoque les carrières de Jeanne Moreau et François Truffaut. L’affaire, qui a brisé le succès naissant du film en salles, aura aussi des conséquences négatives sur la carrière de Jean-Louis Richard, qui ne signera que deux films après celui-ci. La diffusion sur ARTE de ce film devenu rare offre une bonne occasion de le redécouvrir et d’en saluer les qualités.

 

 

 

 

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2 commentaires

  1. Richard GUIGO dit :

    Un article qui donne envie de voir le film. Merci.

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