Olivier Père

L’Empire des sens de Nagisa Oshima

L’Empire des sens (Ai no Korida, 1976) ressort en salles le 12 juillet, dans une version restaurée en 4K, distribué par Tamasa.

C’est grâce à L’Empire des sens que Nagisa Oshima, enfant terrible de la nouvelle vague japonaise des années 60, va connaître en 1976 la célébrité et le succès hors de son pays. Ce coup d’éclat, il le doit à un producteur français, Anatole Dauman, qui lui donne carte blanche pour réaliser un film érotique. Oshima choisit de s’intéresser à l’histoire vraie d’Abe Sada, une jeune femme, ancienne geisha et prostituée, qui avait assassiné et châtré son amant dans les années 30. Elle fut condamnée pour meurtre et détérioration de cadavre à six ans d’emprisonnement. Mais l’opinion publique lui fut favorable et la considéra avec compassion. Pendant l’instruction de son procès, elle tenta de faire comprendre que toute cette histoire était une histoire d’amour, un « amour fou ». L’affaire fit sensation dans le Japon du milieu des années 1930 et reste l’un des meurtres les plus célèbres du pays. Plusieurs films lui furent consacrés avant celui d’Oshima, parmi lesquels La Véritable Histoire d’Abe Sada de Noboru Tanaka dans le genre « roman porno ». Mais Oshima ne compte pas réaliser un film traditionnel. Il décide de braver la censure et surtout les tabous de la civilisation japonaise en tournant pour la première fois au Japon un film avec des actes sexuels non simulés, où les poils pubiens et les organes génitaux apparaissent enfin à l’écran, habituellement dissimulés par de pudiques caches. Dévoilé à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, le film défraye la chronique et déclenche un énorme scandale au Japon. Oshima sera poursuivi pour obscénité et finalement acquitté après un procès de trois ans. L’Empire des sens se distingue évidemment du cinéma érotique japonais « roman porno » ou « pinku eiga » mais également des incartades du cinéma d’auteur dans le sexe plus ou moins hard (Makavejev, Bertolucci, Borowczyk, etc.) à la mode dans les années 70. Oshima filme avant tout l’histoire d’une passion, et en bon disciple de Bataille illustre les liens indissolubles entre jouissance et mort, crime et sexualité. La scène de l’œuf dans le vagin et le titre original japonais, « la corrida de l’amour » évoquent immanquablement L’Histoire de l’œil. Mais c’est Dauman qui trouvera le titre français, inspiré par L’Empire des signes de Roland Barthes. Coutumier des sujets politiques et sociaux, Oshima ne se renie pas avec ce film de sexe à huis clos. L’Empire des sens est en lui-même un acte révolutionnaire, le geste d’un homme libre qui cherche à confondre, selon les propres mots d’Oshima, « rêve et réalité ».

Catégories : Actualités

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *