ARTE diffuse Le Parrain, 3ème partie (The Godfather: Part III, 1990) de Francis Ford Coppola dimanche 5 février à 20h45. On a reproché à Coppola de n’avoir entrepris ce troisième volet du Parrain que pour des raisons d’argent, alors qu’il avait déclaré que le deuxième film, réalisé en 1974, clôturait définitivement la saga de la famille Corleone. Il est vrai que la situation de Coppola au sein de l’industrie hollywoodienne va prendre une tournure inattendue après le désastre commercial et critique de Coup de cœur en 1982. Le cinéaste acceptera de tourner plusieurs films dans les années 80 pour éponger les dettes de sa société de production American Zoetrope. Il ne faut pourtant pas oublier que Le Parrain, 2ème partie, considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de Coppola, ne fut entrepris que grâce au succès phénoménal du premier Parrain, lui-même attribué par la Paramount au jeune cinéaste débutant après les refus d’une dizaine de réalisateurs prestigieux, parmi lesquels Sergio Leone et Costa-Gavras. Bien qu’il s’agisse d’une trilogie mythique au cœur de sa filmographie, et d’une réussite magistrale qui allait lui apporter gloire et fortune, Coppola n’a jamais caché qu’il avait réalisé ces trois films un peu contre son gré, comme des commandes de prestige lui ayant permis de concrétiser des projets plus personnels et expérimentaux. Il n’empêche que le génie de Coppola s’exprime dans les moindres strates et dimensions des trois films, y compris le dernier qui n’obtint pas au moment de sa sortie le même accueil dithyrambique que ses prédécesseurs. En 1990 l’étoile de Coppola avait pâli à Hollywood, et ils furent moins nombreux à saluer la beauté et l’ambition de cet ultime opus. A tort.
Le film débute en 1979 sur les vestiges abandonnés de la résidence familiale de Lake Tahoe au Nevada, décor principal du Parrain, 2ème partie. La villa fantôme est le symbole de l’autodestruction du clan Corleone. Hanté par le meurtre de son frère Fredo, Michael Corleone a renoncé aux activités illégales de son empire dans les casinos et souhaite désormais se racheter une conscience, en quête de respectabilité. Il multiplie les dons à l’Eglise Catholique et se rapproche de l’archevêque Gilday, directeur de la banque du Vatican, qui va se révéler un redoutable homme d’affaires, capable des pires trahisons. Michael est obsédé par l’idée de réunifier les membres de sa famille, et en particulier ses enfants, qui ont pris leur distance avec l’autorité démoniaque de leur père. Tableau d’une rédemption impossible, Le Parrain, 3ème partie creuse le tombeau de Michael Corleone, écrasé par ses fautes, affaibli par la maladie et confronté à de nouveaux adversaires encore plus dangereux que la mafia américaine : les sbires des arcanes secrètes du Vatican et de la loge P2. Le troisième acte du Parrain, 3ème partie se déroule en Sicile, berceau de la famille Corleone et de la mafia. Le scénario de Mario Puzo et Coppola s’inspire des scandales financiers qui ébranlèrent la classe politique italienne des années 80, et insère l’épisode de la mort mystérieuse du Pape Jean-Paul 1er, 33 jours après son élection, alors qu’il avait enclenché une croisade anti-corruption. Les liens souterrains entre la mafia et le Vatican constituent la part la plus passionnante du Parrain, 3ème partie, qui cite explicitement le destin des Borgia, transposé au XXème siècle. Fidèle à la structure narrative de la saga, Coppola ouvre son récit par une réunion familiale et l’achève par un montage parallèle où les comptes se règlent dans le sang. Le film culmine avec une brillante mise en abyme : la préparation et l’accomplissement de meurtres pendant la représentation de « Cavalleria rusticana », opéra de Mascagni d’après une nouvelle de Giovanni Verga, sur un crime d’honneur dans la campagne sicilienne. La virtuosité de Coppola éclate dans ce crescendo tragique au cours duquel Michael Corleone est frappé dans son cœur et sa chair. Le Parrain, 3ème partie est un opéra funèbre, une œuvre au noir traversée de violence et de larmes qui conclut de manière magistrale, malgré quelques scories – l’interprétation est plus inégale que celle des deux autres films – l’une des créations majeures du cinéma américain moderne.
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