Olivier Père

Les espions s’amusent de Josef von Sternberg

 

ARTE diffuse Les espions s’amusent (Jet Pilot, 1957) de Josef von Sternberg lundi 23 janvier à 22h20.

Les espions s’amusent est parfois crédité comme le dernier film de Sternberg, alors que le cinéaste a terminé sa carrière en 1953 au Japon avec le chef-d’œuvre maudit Fièvre sur Anatahan. Les espions s’amusent fait partie des commandes que Sternberg accepta alors qu’il était encore sous contrat avec le producteur Howard Hughes, patron de la RKO Pictures, pour lequel il avait réalisé Le Paradis des mauvais garçons (Macao, film terminé par Nicholas Ray après le renvoi de Sternberg) en 1952. Autant d’expériences malheureuses qui laissèrent un goût amer à l’auteur de L’Ange bleu.

Le tournage des espions s’amusent débuta en 1949 mais les dépassements du plan de travail, de nombreuses turpitudes de montage et de postproduction retarderont pendant sept ans sa sortie – pratiques courantes avec Hughes réputé pour sa maniaquerie, son indécision pathologique qui le poussaient à rafistoler et à dénaturer les films. Sternberg n’a tourné le film que d’octobre 49 à février 50, avant de quitter définitivement le projet. Après le départ de Sternberg, au moins six personnes reprirent le tournage parmi lesquelles Jules Furthman (scénariste et coproducteur du film), Byron Haskin (responsable des effets spéciaux) et Howard Hughes lui-même.

On l’aura compris, le film est né du désir de son producteur, le milliardaire excentrique Howard Hughes, et additionne ses trois principaux centres d’intérêt en une seule histoire : les avions, les jeunes femmes sexy et l’anticommunisme. Avec Jet Pilot, Hughes souhaitait renouveler l’exploit de son film Hell’s Angels réalisé en 1930, c’est-à-dire mêler cascades aériennes spectaculaires, érotisme et romance à l’ère de la Guerre Froide et des avions à réaction. Jet Pilot réunit à l’écran John Wayne et la superbe Janet Leigh dont le sex-appeal illumine le film. Le film est l’histoire d’un couple impossible soudé par un amour et un désir capables de vaincre les antagonismes politiques. Les multiples trahisons et mensonges qui ponctuent le récit se révèlent de puissants aphrodisiaques pour les deux amants, qui poursuivent leurs ballets sensuels dans les airs, à bords de leurs avions de chasse. Le film érotise les machines volantes, comme autant d’objets puissants et phalliques, tandis que les formes aérodynamiques de Janet Leigh sont elles aussi parfaitement mises en valeur. Jet Pilot est un bel exemple de priapisme cinématographique, souvent produit en dépit du bon sens, mais qui témoigne des obsessions de Hughes : faire des films pour assouvir ses désirs les plus intimes. L’idée de confier un tel projet à Sternberg, maître en fétichisme et peintre des pulsions sexuelles, n’était pas une mauvaise idée, mais le perfectionnisme et la sophistication du cinéaste viennois ne purent que souffrir de la production chaotique du film. L’humour pas très subtil des espions s’amusent – des bruits d’avion à réaction pour accompagner les réactions de Wayne et des spectateurs devant l’effeuillage de Janet Leigh – est étranger à l’art de Sternberg, que l’on retrouve au hasard de certaines scènes ou détails vestimentaires, tel ce déshabillé mauve et doré qu’arbore Janet Leigh, vestige des espionnes ensorceleuses et femmes fatales incarnées par Marlene Dietrich dans les années 30.

« J’ai cessé de faire du cinéma en 1935 » avait coutume de déclarer Sternberg dont la fin de carrière fut une suite d’échecs critiques et commerciaux, de déceptions et de film inachevés. Il est injuste de lui donner raison et de considérer que le génie de Sternberg disparut en même temps que sa collaboration avec Marlene Dietrich, comme en témoignent la beauté de Shanghai Gesture (1941), la poésie de Fièvre sur Anatahan et même les éclats épars de Jet Pilot.

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