ARTE diffuse La Neuvième Porte (The Ninth Gate, 1999) lundi 6 juin à 20h45.
Réputé mineur dans la carrière de Polanski, La Neuvième Porte est un excellent divertissement qu’on prend beaucoup de plaisir à voir et revoir, un film symptomatique du sens de l’humour et de la maestria du cinéaste. Retrouvant le thème du satanisme après Rosemary’s Baby, Polanski s’amuse avec un jeu de pistes mortel qui fait voyager son antihéros, Corso, cynique et malhonnête marchand de livres rares et précieux de New York à Paris en passant par le Portugal et les Cévennes. C’est le film d’un athée qui ne croit ni en Dieu ni au Diable et se moque de personnages grotesques et dangereux obsédés à l’idée d’entrer en contact avec Lucifer, grâce à des exemplaires d’un vieux grimoire qui aurait été coécrit par le Malin en personne. Polanski a trouvé dans le roman ésotérique Le Club Dumas ou l’ombre de Richelieu d’Arturo Pérez-Reverte la matière pour une farce cruelle et sarcastique où s’agitent des pantins inquiétants ou dérisoires. Le moins ridicule de ces personnages n’est pas Corso lui-même, enquêteur qui ne suscite guère d’empathie – il ne pense qu’à l’argent – et se retrouve mêlé à des histoires de meurtres dont il est loin de tirer les ficelles.
Comme à son habitude Polanski excelle dans les petits détails dissonants, les figures passagères et les ambiances fugitives. La multiplicité des décors et des rencontres égrenés par le récit permet au cinéaste de s’adonner à son goût des silhouettes et des situations étranges, dans une zone d’inconfort qui demeure amusante pour le spectateur. L’épisode parisien renvoie au bon souvenir du Locataire et de Frantic, tandis que les scènes newyorkaises, reconstituées en studio et volontairement factices, baignent dans un climat onirique. Le soin accordé à la direction artistique (signée Dean Tavoularis), la photographie de Darius Khondji et les costumes de Anthony Powell, associés à la virtuosité de Polanski font de La Neuvième Porte, avec son scénario extravagant, un modèle assez unique de film bis de luxe, qui ressuscite la grande tradition du fantastique européen tel que le pratiquait les Italiens, les Espagnols ou les Anglais dans les années 60 et 70, mais avec des moyens financiers et techniques bien supérieurs aux habituelles séries B sur le diable et ses disciples. Un homme qui se pend dans sa bibliothèque, un vieux collectionneur retrouvé mort dans une fontaine, une femme paralytique propulsée dans un appartement en feu… autant de visions d’effroi signées Polanski mais qui pourraient tout aussi bien avoir été imaginées par Dario Argento, Lucio Fulci, Alberto De Martino ou Jess Franco quelques années plus tôt, avec une économie plus modeste mais une inspiration comparable, entre farce et délire baroque. Et des acteurs américains embarqués dans des aventures qui les dépassent, comme ici Johnny Depp au visage encore humain mais totalement inexpressif derrière des moustaches et une barbichette incongrues. Frank Langella dans le rôle du méchant manipulateur semble avoir davantage compris l’esprit du film. La scène où il provoque la fuite des membres d’une secte satanique par un simple cri et un geste brusque résume à la perfection les intentions de Polanski dans La Neuvième Porte : se moquer de fanatiques de carnaval et rigoler de cultes débiles quand on a fait l’expérience personnelle du Mal et de l’horreur véritables. C’est sans doute cette distance ironique doublée d’une esthétique proche de la bande dessinée – on pense souvent à Hergé ou E.P. Jacobs – et du cinéma bis qui dérouta et déçut la critique sérieuse à l’époque de la sortie du film. C’est au contraire ce qui fait tout le charme, à nos yeux, de ce thriller pas comme les autres, dont le caractère ludique n’est pas si anodin que cela dans l’œuvre de Polanski.
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