Le 1er juin Pathé édite en version restaurée, en combo BR et DVD, Voici le temps des assassins (1955) de Julien Duvivier. Pathé a également ressorti en salles le film, sur les écrans depuis le 16 avril.
Voici le temps des assassins est considéré à juste titre comme le grand film de Duvivier réalisé après guerre. Le cinéaste avait donné le meilleur de lui-même dans les années 30 – comme pas mal de réalisateurs français de sa génération – avant de poursuivre une carrière inégale sur les trois décennies suivantes. On n’oublie pas que Duvivier a aussi signé au moins un chef-d’œuvre absolu au temps du muet (Au bonheur des dames, 1929) et un autre en 1946, à son retour en France : Panique.
L’intense noirceur et la violence de Voici le temps des assassins rejoignent d’ailleurs celles de Panique, tandis que sa séquence d’introduction rappelle Au bonheur des dames, symphonie visuelle qui captait d’impressionnante manière la frénésie des grands magasins parisiens. Ici ce sont les marchés des Halles à l’aurore qui sont filmés comme une fourmilière humaine, avant que le cinéaste ne recentre son attention sur une ténébreuse affaire de crime, de haine et de désir. Le style naturaliste de Duvivier, hérité de Zola, lui permet de visiter différentes strates de la capitale ainsi que les thèmes de l’hérédité, de la corruption morale et de la déchéance.
Un prospère restaurateur quinquagénaire (Jean Gabin, qui retrouve Duvivier peu de temps après Renoir) est victime d’une vengeance. Sa richesse et sa vie sont menacées par une ingénue perverse (Danièle Delorme, inoubliable), fille de sa première épouse, qui cache une âme noire derrière son air angélique. On aurait tort de classer Voici le temps des assassins parmi les films anti-jeunes, catégorie bien présente dans la France des années 50, surtout chez les cinéastes établis (Carné, Clouzot, etc.) qui voyaient d’un mauvais œil d’une nouvelle génération jugée immorale et stupide. D’une part le film de Duvivier offre à Gérard Blain le beau rôle d’un étudiant intègre et intelligent qui sera la victime sacrificielle d’une des plus terribles garces de l’histoire du cinéma ; d’autre part la misanthropie de Duvivier ne se limite pas à une classe sociale ou une tranche d’âge. On notera toutefois la misogynie du film qui constitue une véritable galerie de monstres féminins autour du personnage de Gabin : une mère possessive et cruelle qui décapite les poulets au fouet (véridique), une autre mère en pleine décadence physique et mentale, ancienne prostituée droguée jusqu’à l’os, la jeune manipulatrice perverse et une vieille gouvernante irascible. Le film s’inscrit dans le prolongement de La Belle Equipe et nous montre un Gabin embourgeoisé, proche du peuple mais plein de déférence envers ses clients de la haute société. Dans les deux films c’est une femme qui viendra briser la relation harmonieuse – doublée ici de sentiments père fils – entre deux amis. L’œuvre de Duvivier ne se limite pas à un pessimisme forcené et le cinéaste a aussi brillé dans un registre plus léger et souriant. Mais des échecs ou déceptions professionnelles l’ont régulièrement ramené à cette vision nihiliste et même sordide du monde, qui triomphe dans Panique et Voici le temps des assassins. La mise en scène de Duvivier est constamment inspirée, parfois virtuose dans les mouvements de caméra. Les acteurs sont tous formidables. Tous les éléments sont réunis pour qu’on se laisse emporter par la violence délirante du cinéaste qui atteint ici son point de non retour.
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