Gaumont vient d’éditer en blu-ray Roger la Honte, film franco-italien de Riccardo Freda sorti en 1966. Roger la Honte est la quatrième adaptation cinématographique d’un livre de Jules Mary, écrivain surnommé « le roi des feuilletonistes » qui eut beaucoup de succès avec ses romans populaires publiés sous forme de feuilletons à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. Roger-la-Honte (1886) est le roman de Mary qui fut le plus souvent porté à l’écran : en 1913 (production Pathé réalisée par Adrien Caillard), en 1933 (film de Gaston Roudès), en 1946 (film de André Cayatte qui signa une suite la même année, La Revanche de Roger la Honte) et enfin en 1966. Roger la Honte est le meilleur titre de la parenthèse française du cinéaste italien Riccardo Freda, qui dans la seconde moitié des années 60 va signer plusieurs films pour le même producteur, Robert de Nesle, pilier du cinéma populaire tricolore, habitué des coproductions avec l’Italie : Les Deux Orphelines, deux aventures sans grand relief de l’agent secret Coplan et enfin Roger la Honte, le plus réussi du lot. Un bourgeois marié et père d’une petite fille ne peut prouver son innocence dans une affaire de meurtre qu’en avouant son infidélité. Condamné au bagne parce qu’il a préféré se taire, il s’échappe, est laissé pour mort puis fait fortune en Amérique. Dix ans plus tard, il rentre en France sous une nouvelle identité dans le but de se faire justice, et d’œuvrer pour sa réhabilitation en se lançant à la recherche du vrai coupable… Cette ténébreuse affaire de vengeance et d’honneur, entre Le Comte de Monte Cristo et Les Misérables permet à Freda d’exprimer son talent de calligraphe de la mise en scène, capable d’apporter dynamisme et sophistication à un film à costumes au budget modeste. Cela se vérifie dès la scène d’ouverture, une reconstitution stylisée de la défaite de Sedan où le soldat Roger Laroque évolue seul au milieu des cadavres, et porte secours à son ami blessé. Freda affectionne les excès du mélodrame qui bafouent la vraisemblance, mais en pratiquant un art paradoxal de la rétention et de l’ellipse, peu propice aux épanchements lacrymaux. Roger la Honte surprend par son austérité, sa froide rigueur, son refus de la grandiloquence. Freda était une manière de dandy cinéaste, un aristocrate hautain du cinéma de quartier qui prêta son talent pour la composition et le mouvement aux genres successifs qui enthousiasmaient le grand public : mélodrame, péplum, fantastique, aventures historiques… Freda de retour en Italie se laissera aller à des commandes de médiocre qualité, symptomatiques du déclin du cinéma bis transalpin. Roger la Honte est sa dernière œuvre ambitieuse. Le destin hors du commun de Laroque lui offre l’opportunité d’évoquer une époque marquée par les scandales financiers, l’argent corrupteur et l’essor du capitalisme triomphant. Roger la Honte bénéficie d’une excellente distribution, inhabituelle pour ce type de productions. On y retrouve Georges Géret dans son seul rôle en tête d’affiche, et le jeune Jean-Pierre Marielle dans sa première interprétation dramatique. Avec aussi Jean Carmet, Jean Topart, Irène Papas, Anne Vernon… Roger la Honte permet de vérifier la supériorité de Freda par rapport aux honnêtes artisans ou faiseurs besogneux qui s’illustrèrent des deux côtés des Alpes dans le mélodrame ou le film d’aventures historiques dans les années 60.
Roger la Honte de Riccardo Freda
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