Olivier Père

Créatures célestes de Peter Jackson

ARTE diffuse lundi 6 juillet à 22h20 Créatures célestes (Heavenly Creatures, 1994) de Peter Jackson.

Il s’agit du quatrième et meilleur long métrage du cinéaste néo-zélandais avant qu’il ne signe des films à gros budget pour les studios hollywoodiens. Peter Jackson abandonne l’horreur potache et la dérision de ses débuts pour s’intéresser à une histoire vraie, un fait-divers criminel qui défraya la chronique dans la Nouvelle-Zélande des années 50 : deux adolescentes, liées par une amitié passionnée basculant dans l’amour charnel, avaient tué la mère de l’une d’entre elles qui voulait leur interdire de se voir. Le scénario demeure très fidèle aux déroulements des faits, y compris dans la retranscription de la correspondance des deux amies. Issues de milieux sociaux diamétralement opposés, avaient développé un monde imaginaire, inventé un royaume de conte de fées dans lequel elles se réfugiaient pour échapper aux contraintes imposées par l’école et la famille.

La mise en scène est constamment inspirée et le cinéaste fait preuve d’une empathie totale pour les deux jeunes filles prisonnières d’une vie provinciale étouffante de conformisme et de conservatisme. Le film entretient une correspondance secrète avec Un ange à ma table de Jane Campion, autre merveille venue de Nouvelle-Zélande dans les années 90, magnifique biographie de Janet Frame qui parvenait à s’échapper de sa triste condition grâce à l’écriture, tandis que Juliet et Pauline échafaudent et mettent à exécution un maladroit projet criminel dans le même dessein. Dans les deux films – qui partagent le directeur artistique Grant Majors – la schizophrénie et l’hystérie de jeunes filles génèrent une vision exaltée du monde, retranscrite à l’écran par des visions subjectives, déformées par la colère ou le désir. Le style baroque et fantasque du film se nourrit des passions et répulsions de ses jeunes héroïnes, du ténor Mario Lanza à Orson Welles dans Le Troisième Homme.

Créatures célestes révéla deux actrices extraordinaires ici dans leurs premiers rôles au cinéma, Melanie Lynksey et Kate Winslet, alors âgée de dix-neuf ans, promise à la brillante carrière que l’on sait et déjà impressionnante.

et Kate Winslet dans Créatures célestes

Melanie Lynksey et Kate Winslet dans Créatures célestes

 

Dommage que Peter Jackson n’ait pas persévéré dans cette voie romanesque, convulsive et fiévreuse et se soit engouffré dans des projets mégalomanes inféodés à une surenchère d’effets spéciaux numériques et une esthétique pompière.

Créatures célestes constitue d’ailleurs une sorte de mise en abyme de la filmographie de Peter Jackson qui s’est perdu à l’instar de Juliet et Pauline dans la fabrication d’univers toc et kitsch d’après Tolkien, la folie et la révolte en moins.

 

 

 

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