Olivier Père

La Légende de Jesse James de Philip Kaufman

ARTE diffuse lundi 6 juillet à 20h50 La Légende de Jesse James (The Great Northfield Minnesota Raid, 1972.) Né en 1936 à Chicago Philip Kaufman va se livrer dans les années 70 et 80 à de passionnantes relectures des grands genres hollywoodiens – le western avec La Légende de Jesse James, le film d’aventures avec The White Dawn, la science-fiction avec son formidable remake L’Invasion des profanateurs avant de signer deux chefs-d’œuvre du cinéma américain contemporain Les Seigneurs et L’Etoffe des héros.

La seconde moitié de sa carrière sera malheureusement moins convaincante avec des adaptations littéraires et des projets culturels orientés vers l’Europe, ou de simples commandes hollywoodiennes. Les deux projets qui auraient pu lui permettre d’atteindre les cimes du box office (Star Trek, le film et Josey Wales, hors-la-loi) lui échappèrent au stade de la préparation en raison de différends artistiques avec la production. Philip Kaufman avait consacré ses premiers films aux mythologies américaines – le western, le rock n’ roll, la conquête spatiale – avec un mélange de sérieux et d’ironie, une approche originale qui le distinguent des autres protagonistes majeurs du Nouvel Hollywood, ces auteurs réalisateurs tels que Paul Schrader, John Milius, James Tobak voire Lawrence Kasdan, avec lequel Kaufman écrira Les Aventuriers de l’arche perdue de Spielberg.

La Légende de Jesse James participe à cette tendance du western révisionniste qui survint au début des années 70 avec des films comme John McCabe de Robert Altman ou Little Big Man de Arthur Penn. Il est d’ailleurs réalisé la même année qu’un autre western trop méconnu et pourtant formidable, Bad Company de Robert Benton avec Jeff Bridges.

Kaufman s’intéresse à son tour à l’histoire des frères James et de leurs acolytes, après Henry King, Fritz Lang, Samuel Fuller, Nicholas Ray et avant Walter Hill et Andrew Dominik.

La version de Kaufman est iconoclaste, même si elle prétend à une certaine vérité historique.

Le titre français n’est pas très bien trouvé puisque davantage qu’à la légende c’est à la véracité que s’attache Kaufman, truffant son film de détails truculents et d’annotations authentiques, sur une période qui ne couvre pas les « exploits » du gang mais sa dispersion et sa déroute. L’autre erreur du titre français est de laisser croire que le film est centré sur la figure de Jesse James, assez satellitaire dans le récit, tandis que Cole Younger occupe, pour la première fois au cinéma, le devant de la scène.

En 1876, Jesse James et sa bande (les frères Younger, Chadwell, Charlie Pitts et Clel Miller) décident de braquer la banque nationale de Northfield dans le Minnesota après le rejet d’une amnistie visant à les blanchir de leurs fautes antérieures – de nombreux meurtres et la participation au massacre de Lawrence qui fit 140 morts. L’amnistie après la fin de la Guerre de Sécession avait en effet été accordée aux soldats sudistes, mais pas aux guérilleros (« Bushwackers ») comme James et ses complices, même si ces derniers étaient considérés comme des héros rebelles par une large frange de l’opinion malgré leurs sanglants méfaits. Ils se retrouvent donc avec l’agence privée Pinkerton (chasseurs de primes ridiculisés dans le film de Kaufman) aux trousses. La bande se divise en deux, et chaque groupe part de son côté : c’est le groupe de Cole Younger qui arrive le premier et qui prépare le braquage en incitant les habitants a mettre leur or dans la banque… Mais l’opération sera un fiasco total.

Cole Younger, formidablement interprété par Cliff Robertson (photo en tête de texte), est montré comme un hors-la-loi charismatique, hâbleur et soucieux de bâtir son propre mythe auprès de ses hommes et de la population. Il porte constamment une sorte d’armure en cuir qui lui sauvera plusieurs fois la vie, notamment lors de la fusillade finale où il sera blessé et capturé par une troupe de « vigilantes. »

Criblé de balles, il profite néanmoins de son arrestation et de son transport dans une cage avec ses compagnons survivants pour saluer une foule en délire! Le vrai Cole Younger deviendra d’ailleurs prédicateur et finira paisiblement ses jours après avoir purgé sa peine de prison.

Jesse James (Robert Duvall) quant à lui apparaît plutôt comme un psychopathe vicieux et sans scrupules, moins courageux que le fanfaron Cole Younger.

La première scène montrant Jesse James et son frère Frank en pleine conversation nous renseigne sur les intentions triviales de Kaufman. Les deux hommes sont filmés en plan rapproché et le spectateur comprend tardivement qu’ils sont sur des gogues installés dans un champ, au milieu des mouches.

La dimension picaresque du film de Kaufman est sans cesse remise en question et désamorcée par des ruptures de ton, des situations étranges et déroutantes. Les dialogues occupent une place plus importante que l’action, ce qui expliqua sans doute la faible audience de La Légende de Jesse James au moment de sa sortie, en comparaison avec d’autres néo westerns violents et crépusculaires.

Le style de Kaufman, qui se cherche encore, trouvera son apogée en 1983 avec son meilleur film L’Etoffe des héros, lui aussi inspiré par des faits et des personnages réels, beaucoup plus positifs que les bandits de La Légende de Jesse James.

 

 

 

 

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