Olivier Père

Paradis perdu de Abel Gance

Pathé propose à la vente une nouvelle salve de six titres restaurés de son catalogue, à partir du 1er juillet en DVD, Blu-ray, VOD et téléchargement définitif. Respectons l’ordre chronologique et parlons d’abord du beau film de Abel Gance Paradis perdu, produit en 1939, sorti en 1940.

C’était l’époque où un film c’était aussi une chanson. Dans les années 30, le cinéma rime avec larmes et chansons dans le monde entier pour conjurer les crises politiques et économiques et la menace de la guerre… Les grands films populaires français, mélodrames et comédies, proposent des chansons à leurs nombreux spectateurs. C’est le cas de Paradis perdu bercé par la mélodie qui porte le même titre que le film, paroles et musique de Roger Fernay et Hans May, chantée par Mémé Bianchi.

Le film débute comme une comédie sentimentale légère. Lors du bal du 14 juillet en 1913 Pierre un artiste fauché fait la cour à Janine une jeune fille qui travaille dans une maison de couture au bord de la ruine. Le hasard les fera se retrouver grâce au monde de la mode dont Pierre deviendra la coqueluche et qui lui apportera fortune et célébrité. Nous sommes dans l’univers de la comédie mondaine et sophistiquée lorsque survient une scène magnifique, l’une des plus belles de l’œuvre de Gance. En voyage de noces dans le midi, au détour d’une conversation le couple qui nage en plein bonheur entend soudain les cloches sonner… La France vient d’entrer en guerre contre l’Allemagne et va séparer les jeunes mariés qui n’auront vécu heureux ensemble que quelques jours. Cette scène rappelle le J’accuse ! réalisé par Gance en 1919, qui montrait aussi les destins individuels brisés par la Première Guerre mondiale. Enclin à l’emphase dans ses pamphlets pacifistes ou des projets visionnaires et messianiques Gance réalise cette scène sans pathos ce qui la rend encore plus bouleversante. La suite du film bascule dans le mélodrame lyrique et torturé. Pierre apprend au front – autre scène splendide – que Janine est décédé en donnant le jour à leur fille. Cruelle ironie du destin la mort ne frappe pas le soldat dans les tranchées mais sa femme qu’il brûlait de retrouver après la guerre.

Pierre retourne à la vie civile, désespéré par la perte de l’amour de sa vie, ne veut pas voir sa fille et cherche en vain son paradis perdu. François Truffaut a raconté que Paradis perdu était son premier grand souvenir de spectateur. Il a avait découvert enfant le film dans une salle de cinéma où tout le monde sanglotait, tandis que le pays était occupé par les Allemands. Le paradis perdu du film (une femme morte) c’était pour le public de 1940 la paix et la liberté. Le culte morbide que voue Pierre à sa jeune épouse décédée – il a consacré un musée de leur brève histoire d’amour dans son bureau – nourrira sans doute La Chambre verte bien des années plus tard.

Immense succès commercial dans une période troublée où le cinéma était un refuge pour rêver et pleurer, Paradis perdu était méprisé par Gance qui le considérait comme une simple commande acceptée pour vivre, tandis qu’il n’arrivait pas à monter une production ambitieuse sur Christophe Colomb.

Pourtant parmi les plus beaux films de Gance il y a ses mélodrames des années 30 et 40, réalisés au sein du système commercial français. Gance ne s’y renie pas, capable d’insuffler des idées personnelles à des scénarios de films populaires beaucoup moins mégalomanes que ses propres projets. C’est le cas de Paradis perdu, inégal et imparfait mais très émouvant. Le film bénéficie de l’interprétation remarquable de Fernand Gravey dans le rôle de Pierre. C’est aussi le premier film en vedette de Micheline Presle, 17 ans à l’époque du tournage, qui joue à la fois Janine et sa fille Jeannette à l’âge adulte, cette double identité renforçant la dimension obsessionnelle de ce film sur l’amour absolu pour une seule femme.

 

 

 

 

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