Potemkine poursuit sa réédition de l’œuvre cinématographique complète de Werner Herzog (photo en tête de texte, sur le tournage de Fitzcarraldo) en version restaurée avec ce beau coffret DVD enrichi de nombreux suppléments disponible à la vente depuis le 5 mai qui regroupe des films, fictions et documentaires, réalisés entre 1976 et 1982, soit une période faste qui regroupe la plus grande part des titres avec Klaus Kinski, après le coup d’éclat de Aguirre, la colère de dieu.
Aguirre est le premier conquérant de l’inutile dans l’œuvre de Herzog, avant Fitzcarraldo et Cobra Verde. On peut y voir des autoportraits déguisés de Herzog lui-même, qui semble accorder un plaisir masochiste de plus en plus évident à organiser des tournages désastreux ou épuisants, mais quand même sous contrôle – Herzog se vante souvent qu’aucune personne n’a jamais été grièvement blessé sur l’un de ses tournages, assertion que ne pourraient revendiquer les producteurs de blockbusters hollywoodiens. Le point culminant de cette obsession du risque sera l’aventure de Fizcarraldo. Débuté en 1979 avec Jason Robards et Mick Jagger dans les rôles principaux, le film qui raconte l’histoire d’un aventurier irlandais déterminé à construire un opéra en pleine jungle amazonienne est interrompu à cause de la maladie de Robards et du désistement de Jagger. Alors que tout le monde lui conseille d’abandonner, Herzog recommence le tournage avec Kinski et le termine en 1982. Le clou du film, qui voit Fitzcarraldo faire franchir à un bateau de 300 tonnes une montagne pour rejoindre un second fleuve, fut réellement accompli par Herzog et son équipe après plusieurs mois d’efforts. Un formidable documentaire, Burden of Dreams de Les Blank (disponible dans le coffret) retrace l’odyssée du tournage et montre Herzog au travail. Le cinéaste est obstiné au dernier degré mais pas si fou que cela. C’est un excellent meneur d’hommes, porté par un évident mysticisme de la création. Des anecdotes savoureuses furent colportées à satiété par la presse : comment Herzog a menacé de tuer Kinski avec son pistolet s’il quittait le tournage, comment les Indiens ont proposé à Herzog de tuer Kinski tellement l’acteur était insupportable…
Pourtant, Fizcarraldo marque la limite des ambitions de Herzog : le film est beau, mais pas toujours très inspiré. La lourdeur du projet a contraint Herzog à un certain académisme. Le documentaire sur le tournage se révèle plus passionnant que le film achevé. Hormis Aguirre, les films tournés avec Kinski ne sont pas les meilleurs Herzog : Woyzeck d’après Büchner, Nosferatu, fantôme de la nuit, remake somptueux mais un peu vain du film de Murnau, Fitzcarraldo, et Cobra Verde, leur dernier titre ensemble.
Le remake en 1978 par Werner Herzog du classique de Murnau, Nosferatu fantôme de la nuit mérite une réévaluation aujourd’hui, d’autant plus qu’il est proposé pour la première fois en France dans sa version allemande originale. Il s’agit d’une tentative audacieuse de retour aux sources du romantisme allemand dans laquelle Klaus Kinski compose un Nosferatu inoubliable, avec à ses côtés une Isabelle Adjani hallucinée et à la beauté diaphane. La direction artistique et la photographie du film sont sublimes accompagnés par la partition lancinante de Popol Vuh.
Parmi les grands films de Herzog des années 70 présents dans ce coffret, il y a le magnifique Cœur de verre, son film le plus pictural, une histoire d’alchimie et de malédiction située dans la Bavière du XVIIIème siècle où tous les comédiens jouent sous hypnose et La Ballade de Bruno, voyage contemporain entre la RFA et les Etats-Unis interprété par Bruno S., un marginal marqué par une enfance douloureuse et de longs séjours en institutions psychiatriques qui avait déjà été Kaspar Hauser pour Herzog.
Sur le versant documentaire on retiendra surtout La Soufrière (1977) moyen métrage dans lequel Herzog part filmer sur une île de la Guadeloupe évacuée de ses habitants en raison de l’explosion imminente d’un volcan, à la rencontre d’une poignée d’hommes vivant dans un dénuement total qui ont décidé de rester, dans une attitude de résignation fataliste et d’acceptation de la mort. Des visages et des paroles qui dépassent en émotion et en mélange de sagesse et de folie toutes les gesticulations et les roulements d’yeux de Klaus Kinski dans les films historiques de Herzog.
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