Olivier Père

The Lost Moment de Martin Gabel

Sidonis dans sa collection « perles noires » nous permet de découvrir en DVD une rareté et une curiosité absolues dont nous n’avions jamais entendu parler, The Lost Moment (1947), unique réalisation de l’acteur Martin Gabel, inédite en France.

Un éditeur new yorkais se rend à Venise à la recherche de lettres d’amour de Jeffrey Ashton, un grand poète du XIXème siècle disparu dans des circonstances mystérieuses, dans l’espoir de les publier. Il pense que ces lettres se trouvent dans un palais qui a abrité sa passion avec sa dernière maîtresse Juliana Bordereau à qui ces lettres étaient adressées. Il ment sur sa véritable identité et se fait passer pour un écrivain en villégiature afin de ne pas éveiller les soupçons de Juliana âgée de 105 ans vivant recluse dans le palais et de sa nièce Tina au comportement étrange.

Les amateurs de Henry James auront reconnu sa nouvelle Les Papiers d’Aspern dont The Lost Moment est une adaptation assez fidèle et surtout très intelligente. Aspern s’appelle désormais Ashton – poète inspiré par Shelley – et le scénariste du film, Leonardo Bercovici, a modifié la fin imaginée par James.

Martin Gabel était un excellent acteur vu dans de nombreux films hollywoodiens dans des seconds rôles. Il appartenait à la compagnie du Mercury Theater dirigée par Orson Welles, dont il était un des membres fondateurs à l’instar de Joseph Cotten, Everett Sloane ou Agnes Moorehead qui interprète Juliana dans The Lost Moment, sous un maquillage de vieillarde qui la rend méconnaissable.

On ignore ce qui le poussa à passer derrière la caméra en 1947 – l’influence de Welles ? – mais l’échec critique et commercial de The Lost Moment découragea Gabel qui ne donna pas de suite à ce premier essai pourtant singulier, sans doute trop intellectuel et indéfinissable pour le public et les journalistes.

The Lost Moment est en effet un remarquable film d’atmosphère qui emprunte au cinéma psychologique mais aussi au fantastique et à l’horreur – certaines images ou séquences telles les mains griffues de Juliana crispées sur un bras de fauteuil sont dignes d’une production Val Lewton. La majorité de l’action se déroule dans une inquiétante demeure, un immense palazzo vénitien déserté et plongé dans la pénombre. L’éditeur découvre que Tina est comme possédée par la belle femme amoureuse que fut sa tante du temps de sa jeunesse, apparaissant le jour en costume de deuil dans le monde des vivants, et resplendissante la nuit dans le personnage de Juliana, au royaume des morts. Ce dédoublement de personnalité, ce lieu hanté par des fantômes, des lourds secrets et des disparitions mystérieuses, un va et viens entre le jour et la nuit, le présent et le passé permettent d’évoquer un certain courant du mélodrame gothique hollywoodien qui a souvent puisé dans la littérature, comme Rebecca de Alfred Hitchcock ou Le Secret derrière la porte de Fritz Lang, réalisé la même année que The Lost Moment et produit par le même homme, Walter Wanger.

La reconstitution de Venise dans les studios californiens est charmante et Juliana est interprétée par la merveilleuse Susan Hayward, ce qui ajoute au plaisir éprouvé à la découverte de ce bel exemple de hapax cinématographique, heureusement sorti de l’oubli par un éditeur cinéphile.

 

 

 

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