Olivier Père

Jauja de Lisandro Alonso

Le magnifique Jauja de Lisandro Alonso sort mercredi 22 avril dans les salles françaises, distribué par Le Pacte, après sa présentation au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard l’année dernière.

La Conquête du Désert (1878-1885) fut une campagne militaire menée contre les peuples amérindiens, par laquelle le gouvernement argentin prit le contrôle des territoires de la Pampa et de la Patagonie. Dès 1800, des pays comme la France, l’Angleterre et le Danemark avaient organisé des excursions visant à explorer la région, prendre connaissance de son potentiel économique et établir des relations entre les différentes autorités.

C’est dans ce contexte historique que se situe Jauja (titre qu’on pourrait traduire approximativement par « Pays de Cogagne »), premier film de Lisandro Alonso à ne pas se dérouler à l’époque contemporaine. Premier film aussi à être interprété par des acteurs professionnels (Viggo Mortensen en tête, également coproducteur du film) et à contenir autant de dialogues, brisant – toutes proportions gardées – le mutisme des œuvres précédentes du cinéaste argentin. On y parle en effet de choses étranges qu’on ne verra jamais à l’écran ou qu’on se contentera d’apercevoir de loin – la légende d’un officier déserteur devenu fou et cavalant déguisé en femme – mais on y voit aussi des choses indicibles qui défient tranquillement la raison. Si Jauja marque un nouveau départ dans la carrière de Lisandro Alonso, il ne s’agit en rien d’un renoncement ou d’un assagissement, vers un cinéma plus traditionnel. Alonso envisage toujours le cinéma comme un voyage sensoriel et mental dans une nature sauvage et inhospitalière. Si Jauja est le film le plus narratif de Lisandro Alonso, c’est aussi celui dont la dimension fantastique et même métaphysique apparaît le plus clairement.

L’explorateur danois Gunnar Dinesen et sa fille Ingeborg, une très belle adolescente, voyagent dans des terres désertiques, accompagnés par des soldats argentins. Ingeborg tombe amoureuse et s’enfuit avec un jeune homme qui fait partie du petit groupe de son père. Fou d’inquiétude Dinesen se lance à la poursuite des amants en fuite, dans une quête désespérée qui le conduira jusqu’aux confins du monde, où l’espace et le temps se confondent.

S’il fallait trouver un lien secret qui permette de relier entre eux les films énigmatiques de Lisandro Alonso, ce serait peut-être celui de l’amour fou d’un père pour sa fille, déjà présent dans Los muertos et Liverpool, dans lesquels la confusion entre les identités de fille, sœur et femme était entretenue, laissant apparaître le tabou de l’inceste, mélangé à une atmosphère de folie et de meurtre.
Jauja explicite cet attachement obsessionnel et trouble d’un père pour sa fille et l’utilise comme point de départ d’un trip hallucinatoire qui n’a rien à envier au 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick dans le style « éternel retour aux frontières de l’infini » avec métamorphoses, sauts dans le futur et épilogue mystérieux. Si Lisandro Alonso nous emmène aussi loin avec Jauja c’est avant tout grâce à la splendeur absolue de sa mise en scène et de ses images, signées par le directeur de la photographie attitré d’Aki Kaurismäki, Timo Salminen. Tourné en 35mm (comme tous les films de Lisandro Alonso, religieusement dévoué à la pellicule argentique) et en 1.33, Jauja déploie une beauté de chaque plan, composé et cadré comme un western RKO de John Ford avec un Viggo Mortensen probable en John Wayne parlant danois et castillan, magnifique et parfaitement intégré dans l’univers cinématographique de plus en plus fou et de plus en plus génial  – osons le mot – de Lisandro Alonso.

 

Catégories : Actualités · Coproductions

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