L’actualité cinéphilique nous permet d’admirer au même moment mais sur des supports différents le premier et le dernier film en date d’un cinéaste à part dans le cinéma américain contemporain. Wild Side vient de sortir Le Solitaire (Thief, 1981) de Michael Mann dans une superbe édition blu-ray, accompagné d’un livre d’entretiens avec son réalisateur signé Michael Henry Wilson, critique de cinéma décédé en 2014.
Frank (James Caan) mène une double vie après avoir passé une grande partie de sa jeunesse en prison. Il pactise avec un caïd sans foi ni loi dans l’espoir de réaliser un dernier gros coup, se retirer des affaires et fonder une famille.

James Caan dans Le Solitaire
Il s’agit du premier long métrage de cinéma de Michael Mann qui avait fait ses débuts à la télévision. Il avait réalisé trois ans plus tôt Comme un homme libre (The Jericho Mile) produit pour le petit écran mais distribué dans les salles en dehors des Etats-Unis, à l’instar de Duel de Steven Spielberg. Comme un homme libre racontait l’histoire d’un condamné à perpétuité aux talents de sprinter exceptionnels qui s’entrainait à la course dans la cour de sa prison en Californie.
Dans la continuité de ce téléfilm très réussi Le Solitaire dresse le portrait d’un homme qui a grandi en prison, sans aucune éducation, et dont le comportement est celui d’un sociopathe. Il rend régulièrement visite à son mentor qui l’a aidé a survivre derrière les barreaux et qui est en train de mourir d’un cancer. A la tête d’une société écran – un garage et concessionnaire automobile – il exerce son art la nuit – perceur de coffre-fort. Le Solitaire est adapté d’un roman – The Home Invaders de Frank Hohimer – mais il doit beaucoup à l’expérience et aux informations accumulées par Michael Mann dans sa jeunesse et lors de la préparation du film.
Michael Mann est natif de Chicago, où se déroule Le Solitaire. Il connaît sur le bout des doigts sa ville, sa pègre et sa police et Le Solitaire bénéficie d’une approche ultra documentée sur les habitudes, les attitudes, les armes et l’outillage des gangsters qui irriguera par la suite ses autres polars ou ses thrillers high-tech. Cela ne rend pas le cinéma de Mann réaliste pour autant. Dès Le Solitaire Mann opte pour le maniérisme et peaufine un cinéma d’ambiances urbaines, avec un goût pour les images nocturnes, les déplacements en voitures et les éclairages au néon que le cinéaste n’aura aucun mal à amplifier lors de son passage remarqué au numérique sur Collateral. Mann a une tendance à l’hyper stylisation et à la pyrotechnie et aime des moments opératiques de pure mise en scène, comme ces explosions de violence qui concluent souvent ses films. Le Solitaire ne fait pas exception à la règle, il ouvre même la voie au Sixième Sens et à Heat, sans oublier son retour à la télévision et la série Deux Flics à Miami.

Le Solitaire de Michael Mann
Si Le Solitaire reste l’un des meilleurs films de Mann, c’est parce que son esthétique clinquante est déjà au rendez-vous moins les effets de signature, et qu’il faudra attendre ses expérimentations haute définition pour que le cinéaste apporte quelque chose de neuf à sa vision du néo film noir. Il y a tout Heat dans Le Solitaire, quatorze ans plus tôt et en beaucoup mieux. C’est James Caan qui nous l’avait dit à Cannes en 2000 – à l’occasion de la projection de The Yards de James Gray – et il avait raison. A la revoyure, cela saute aux yeux : mêmes situations, mêmes scènes et mêmes personnages. Ce sont ces derniers – et les acteurs qui les interprètent – qui font la différence. James Caan est magnifique dans le rôle de Frank, qu’il parvient à rendre crédible et émouvant – voir la scène du diner où il raconte son expérience carcérale à la femme qu’il veut épouser. Idem pour Tuesday Weld, actrice rare et précieuse qui a illuminé de sa présence quelques grands films des années 70 et 80, après ses débuts d’adolescente vedette à Hollywood.

James Caan et Tuesday Weld dans Le Solitaire
Le péché mignon de Michael Mann, c’est la musique. En 1981, pour rompre avec toute tentation naturaliste, il confie la bande originale du Solitaire au groupe de rock planant allemand Tangerine Dream, qui venait de composer la musique cauchemardesque de Sorcerer de Friedkin. Friedkin est un autre natif de Chicago et son cadet Michael Mann a toujours chercher à le provoquer sur son propre terrain, à savoir le polar viril et la virtuosité cinématographique. La compétition battra son plein entre les deux hommes au milieu des années 80 avec le duel Police fédérale, Los Angeles / Le Sixième Sens. Qui s’achèvera par un ex-æquo devant l’autel de l’imagerie eighties.
La musique de Tangerine Dream est parfaite lors des scènes époustouflantes de perçages de coffre-fort au début et au milieu du film. On est moins convaincu par la fusillade finale sur une musique rock très datée.
Revoir Le Solitaire permet aussi de vérifier l’influence considérable qu’il a pu avoir sur le Drive de Nicolas Winding Refn, qui s’inspire du premier film de Mann encore plus que de Driver de Walter Hill.
Revoir Le Solitaire en Blu-ray à quelques jours de la découverte de Hacker (Blackhat, 2015) sur grand écran confirme que Mann est de plus en plus tenté par la stylisation sur des sujets appartenant aux genres populaires (hier le polar dur à cuire, aujourd’hui le cyber thriller) avec désormais une pincée de géopolitique. Cette course poursuite qui conduit ses séduisants héros et les spectateurs jusqu’à Hong Kong, Jakarta ou Kuala Lumpur oublie les lois de l’image action et du divertissement hollywoodien pour s’étourdir de sa propre beauté, avec des textures d’images et de sons qui confinent à l’abstraction. Mann propose d’ailleurs un voyage sensuel de la virtualité pure – la caméra qui se faufile au cœur de logiciels – à l’affirmation la plus brutale des corps – le carnage final et le duel à l’arme blanche, en passant par des séquences qui oscillent toujours entre rétention et explosion. Cette gestion insolite de l’espace et du temps que Mann prend plaisir à rendre extatique – comme dans Collateral et Miami Vice – Deux Flics à Miami – nous rappelle que Mann n’est jamais meilleur que lorsqu’il filme une métropole la nuit, la naissance muette du désir entre un paria de la société et une femme aussi belle que déterminée, et des déchainements de testostérone d’une horde de mâles surarmés, improbable et fascinant chainon manquant entre Michelangelo Antonioni et Sam Peckinpah.

Hacker de Michael Mann
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