Toujours dans sa belle collection de raretés du cinéma britannique Studiocanal permet de (re)découvrir en DVD et Blu-ray à partir du 17 mars Les Briseurs de barrages (The Dam Busters, 1955) de Michael Anderson, grand classique du film de guerre anglais d’après une histoire vraie qui se révèle à la hauteur de sa réputation, avec Michael Redgrave et Richard Todd (photo en tête de texte) dans les rôles principaux.
Michael Anderson, cinéaste commercial à la longévité impressionnante a réalisé de nombreux films dans son Angleterre natale, en Europe ou aux Etats-Unis et on lui doit quelques superproductions d’aventures, d’espionnage ou de science-fiction très plaisantes comme Cargaison dangereuse, Opération Crossbow, Le Secret du rapport Quiller, Les Souliers de Saint-Pierre, L’Age de cristal ou Orca.
Nul doute que ce fut Les Briseurs de barrages, son septième long métrage, qui lui ouvrit les portes de Hollywood après des débuts plus confidentiels. Le film se distingue en effet par ses qualités d’interprétation et de mise en scène, la rigueur de son écriture mais aussi ses effets spéciaux extraordinaires, parmi les meilleurs jamais réalisés pour ce type de productions. Pas étonnant que l’on retrouve souvent par la suite le nom de Anderson associé à des films fantastiques ou à grand spectacle ayant recours à des trucages optiques et à des maquettes.
Les Briseurs de barrages retrace la longue et minutieuse préparation puis l’exécution d’un raid aérien de bombardiers de la RAF visant à détruire des barrages situés dans la Ruhr, afin de mettre à mal l’alimentation en eau dont l’industrie lourde allemande avait besoin pour la fabrication de l’acier dans ses usines d’armes.
Entrainés dans le plus grand secret durant plusieurs mois les hommes du 617ème escadron ne connurent l’objectif de leur mission que le jour même du décollage. Cette opération, nommée « Chastise », fut menée le 17 mai 1943.
L’idée révolutionnaire pour parvenir à faire exploser ces imposants barrages en terre ennemie vint d’un ingénieur anglais, le docteur Barnes Wallis, désireux de trouver une solution radicale pour mettre un terme aux intenses bombardements de l’aviation allemande sur Londres. Barnes Wallis inventa une bombe rebondissante capable de faire plusieurs ricochets sur l’eau après son largage avant d’atteindre sa cible. Cette bombe permettait d’éviter les filets anti torpilles installés par les Allemands, puis d’utiliser la pression de l’eau pour provoquer la destruction du barrage en explosant contre sa paroi.
L’histoire de cette invention nécessitant d’innombrables essais et réglages occupe la première partie du film de Anderson. Wallis est interprété par Michael Redgrave, qui fait du scientifique un homme exalté par ses recherches, s’épuisant à la tache et en butte à la méfiance et au scepticisme de l’état-major de la RAF. La frontière est étroite entre l’obsession et la conviction, la persévérance et la folie : la méticulosité de Wallis, son acharnement à prouver qu’il a raison envers et contre tous – ressort scénaristique qui prend des libertés avec la réalité – en font l’un des innombrables personnages de monomaniaques du cinéma anglais, dont le perfectionnisme froid, l’indifférence hautaine ou l’excentricité correspondent à l’image véhiculée par la production britannique classique.
La seconde partie, plus courte, passe le relais au lieutenant-colonel Guy Gibson (Richard Todd), vétéran de la RAF qui va composer un escadron spécial pour cette mission top secret. Dans le raid tel qu’il est décrit dans le film, les Anglais font sauter deux barrages sur trois. En vérité, il s’agissait d’un objectif de six barrages et quatre restèrent intacts. Présentée comme un succès, cette opération fut dans les faits une victoire à la Pyrrhus et même un demi-échec militaire, même si sur le plan diplomatique elle remplit sa fonction qui était de prouver à Staline que le Royaume-Uni pouvait être un allié efficace dans la lutte contre Hitler. Elle se solda par de lourdes pertes humaines et matérielles pour les Anglais : 56 hommes périrent lors de l’opération et huit forteresses volantes furent descendues par la lutte anti-aérienne allemande.
Conçue pour stopper la puissance industrielle allemande, la destruction des deux barrages n’eut qu’une faible incidence sur la production sidérurgique de la vallée de la Ruhr. Seul un barrage sur deux, celui de la Möhne, alimentait en eau les usines de la Ruhr. Sa réparation rapide permit à la situation de leur alimentation de revenir à la normale en quelques mois. L’opération « Chastise » eut en revanche comme effet collatéral positif de renforcer la défense anti-aérienne allemande et donc d’affaiblir la présence de la Luftwaffe sur le front russe et les côtes normandes, préparant ainsi la victoire finale des Alliés.
La destruction du barrage de l’Eder n’eut aucune incidence sur la production des usines car il n’alimentait pas la vallée de la Ruhr, mais elle provoqua la mort de 1294 personnes, parmi lesquelles 749 prisonniers de guerre français et ukrainiens stationnés dans un camp juste au-dessous du barrage.
La conclusion du film de Michael Anderson, si elle reste silencieuse sur ces informations inconnues des Anglais au lendemain de l’opération, évite néanmoins tout triomphalisme. La mise en scène insiste sur les chaises vides des pilotes qui ne sont pas revenus, aucune manifestation de joie mais au contraire un silence de mort et de tristesse de la part des survivants.
Idéaliste naïf piégé par son obstination, Wallis comprend trop tard que son invention, aussi géniale fut-elle, a pris la vie de nombreux soldats sans engendrer les résultats tactiques escomptés. Typique de la cinématographie britannique, toujours prompte à célébrer les grandes victoires comme les terribles défaites, Les Briseurs de barrages est avant tout un film sur les pièges de l’orgueil et les revers de la gloire.
Film génial en noir et blanc avec des acteurs top, pour peu que l’on aime les avions de cette époque vous serez comble. !