Olivier Père

Les Mâchoires de l’épouvante et Secret Pulsion de William Grefé

L’éditeur indépendant Crocofilms poursuit son exploration du cinéma bis avec un double DVD à petit prix abritant deux films de William Grefé (ou Grefe), figure du cinéma d’exploitation américain. Grefé appartient à cette catégorie de cinéastes producteurs qui ont fait toute leur carrière loin des deux grands pôles cinématographiques en Amérique, New York et surtout Los Angeles, développant un système de production et de distribution en totale indépendance, généralement dans des zones rurales et ensoleillée au sud du pays. Comme il y eut en France et dans d’autres pays un cinéma régional prioritairement destiné à un public de proximité, les Etats-Unis possèdent encore aujourd’hui des cinéastes qui travaillent exclusivement dans l’état où ils sont implantés, tirant bénéfice des décors naturels et des coutumes et traditions locales. Inutile de préciser que ce sont la plupart du temps des séries Z destinées à alimenter les drive-in puis les chaînes câblées. C’est le cas de William Grefé (né en 1930 à Miami) qui a tourné tous ses films en Floride, à la ville et à la campagne, et souvent dans les Everglades, immense et sauvage parc national réputé pour sa faune, sa flore et ses marécages qui accueillit les principales prises de vues des Aventures du capitaine Wyatt de Raoul Walsh en 1951 et de La Forêt interdite de Nicholas Ray en 1958.

Ignoré par les encyclopédies du cinéma, Grefé semble aujourd’hui bénéficier d’un regain d’intérêt de la part des cinéphiles amateurs de films à petit budget. Horreur, épouvante, films de bikers, de délinquance juvénile… William Grefé s’est illustré dans plusieurs genres avec un sens certain de l’opportunisme à défaut d’un véritable talent. Son titre le plus célèbre et le mieux distribué – il connut même une sortie salle en France – est Les Mâchoires de l’épouvante (Mako: The Jaws of Death, 1976) qui profita lors de sa promotion publicitaire du triomphe récent des Dents de la mer de Spielberg. Pourtant point de requin géant dans le film de Grefé mais Sonny Stein (Richard Jaeckel), un vétéran de la Guerre du Pacifique bien atteint qui a découvert lors d’une mission aux Philippines qu’il possédait une connexion mystique avec les requins. Un médaillon lui garantit une protection magique contre les dangereux poissons, auquel il va consacrer sa vie de retour au pays (Key West, Florida). Asocial, il préfère la compagnie des requins à celle des hommes, n’hésitant pas à tuer les pécheurs s’attaquant à ses amis les squales. Portrait d’un psychopathe assassin, Les Mâchoires de l’épouvante décalque en fait un film précédent de Grefé, Stanley (1972) dans lequel un Indien Seminole habitant des Everglades utilisait des serpents pour accomplir sa vengeance – lui-même copié sur un autre gros succès commercial de l’époque Willard de Daniel Mann (avec des rats).

Richard Jaekel

Richard Jaeckel

L’originalité des Mâchoires de l’épouvante par rapport aux autres films avec des requins (un sous-genre déclenché par Les Dents de la mer) consiste à montrer les hommes comme les véritables monstres de l’histoire. Violeurs, escrocs et autres personnages ignobles physiquement et moralement constituent une galerie de rebuts de l’humanité bientôt dévorés par des requins, avec la complicité de Sonny. Les requins sont des vrais requins, les lieux de tournage sont bien réels aussi, dans leur banale laideur : on apprécie ce petit film sans qualité qui cultive tranquillement son esthétique plouc et adhère au point de vue de son pathétique antihéros.

 

Le sens inné de la récupération ou de l’auto plagiat de Grefé se vérifie à la vision du deuxième et très obscur film disponible en bonus sur le DVD.

Si Richard Jaeckel semble en petite forme et guère concerné dans Les Mâchoires de l’épouvante, que dire de la prestation grand-guignolesque de William Shatner dans Secret Pulsion, titre vidéo français (?) de Impulse, thriller horrifique réalisé en 1974. C’est un nouveau portrait de dingue que nous propose Grefé, cette fois-ci un escroc, macho et gigolo à l’horrible garde-robe et à l’humour lourdingue qui assassine certaines de ses conquêtes féminines à cause d’un traumatisme enfantin révélé dès la séquence pré générique. William Shatner, incroyablement mauvais, est la principale attraction de ce petit « slasher » de série Z qui se fait remarquer par ses nombreux emprunts décomplexés aux chefs-d’œuvre de Hitchcock (Psychose, Pas de printemps pour Marnie, L’Ombre d’un doute) et reproduit un plan célèbre de La Nuit du chasseur (le cadavre d’une femme dans une voiture au fond de l’eau, avec sa chevelure qui ondule au gré du courant), preuve que Grefé, à défaut d’être un bon cinéaste, connaissait ses classiques.

Jaquette vidéo française de Impulse

Jaquette vidéo française de Impulse

 

Ce DVD a la particularité de ne proposer que la version française d’origine des deux films, et permet donc de les découvrir tels qu’ils furent exploités en France dans les salles de quartier pour l’un, dans les vidéos clubs pour l’autre. Sans parler de la qualité VHS des copies. La postsynchronisation est hasardeuse et les dialogues français savoureusement vulgaires. Cela renforce la dimension nostalgique de cette galette, loin du nettoyage numérique dont bénéficie désormais la moindre œuvrette exhumée de l’oubli. Les Mâchoires de l’épouvante était régulièrement programmé au Brady, cinéma parisien autrefois spécialisé dans le fantastique en double programme avec d’autres séries B ou Z, mais j’avais toujours raté l’occasion de le voir quand je fréquentais cette salle. C’est enfin chose faite, grâce à Crocofilms.

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