Olivier Père

Le Dahlia noir : rencontre avec Brian De Palma

Dans le cadre de son printemps du polar ARTE diffuse le lundi 23 mars à 20h50 Le Dahlia noir (The Black Dahlia, 2006) de Brian De Palma (photo en tête de texte sur le tournage du film), d’après le roman de James Ellroy. A cette occasion, voici un long extrait de l’entretien avec le réalisateur américain que nous avions réalisé lors du Festival de Deauville le 2 septembre 2006.

 

Etiez-vous un grand connaisseur ou un admirateur de l’œuvre de James Ellroy avant de vous atteler au projet de l’adaptation cinématographique du Dahlia noir ?

Non, Le Dahlia noir est le premier roman de James Ellroy que j’ai lu, et j’ai découvert ensuite ses romans antérieurs. J’ai lu Le Dahlia noir en 1992 et je l’ai aimé à la folie, au point de lire d’autres ouvrages consacrés au meurtre du Dahlia noir. J’étais intéressé par la façon dont Ellroy avait transformé cette histoire vraie en œuvre de fiction.

Avez-vous imaginé à l’époque que vous pourriez tirer un film de ce roman ?

Non, la matière romanesque me paraissait trop complexe. Je ne voyais pas comment on pouvait raconter à l’écran une histoire qui se déroule sur plus de dix ans, avec autant de personnages importants. Je m’étais contenté d’apprécier le livre en simple lecteur.

Le Dahlia noir est une adaptation fidèle du roman de James Ellroy mais c’est aussi un film très personnel de Brian De Palma. On y retrouve la plupart de vos obsessions : le cinéma, la violence, le mystère de la sexualité féminine, ainsi qu’une approche morbide de l’amour qui mêle voyeurisme, fétichisme et nécrophilie. Tous ces éléments sont bien sûr dans le roman, mais le film paraît très intime. Avez-vous apporté des modifications au scénario de Josh Friedman (coscénariste avec David Koepp de La Guerre des mondes de Steven Spielberg) ?

Oui, j’ai changé pas mal de choses, et créé des scènes qui n’étaient pas dans le scénario original. J’aurais de nombreux exemples à vous donner. Les essais cinématographiques en noir et blanc de Betty Short insérés dans le film sont une idée à moi, que j’ai trouvé pour permettre au Dahlia noir d’exister en tant qu’être humain. Je les ai tournées dans le style « cinéma vérité », avec seulement l’actrice Mia Kirshner et moi dans le rôle du réalisateur, avec juste quelques lignes directrices dans le script pour commencer à filmer. Elle se rendait à une audition et j’étais celui qui allait tout faire pour l’humilier, la briser devant la caméra afin qu’elle montre enfin aux spectateurs des bribes de sa vraie personnalité. Parce que je suis très conscient de ce que les acteurs doivent endurer lors des auditions, et à quel point le système hollywoodien peut être cruel. La voix du réalisateur que l’on entend, hors-champ, est la mienne. Cela fait partie du processus d’improvisation dans le film. Tout était vrai. J’étais celui qui ne sait pas encore trop ce qu’il veut et qui pose des questions à une actrice désespérée et prête à tout pour décrocher un rôle. J’ai choisi de ne pas remplacer ma voix par celle d’un acteur au mixage pour que ces scènes conservent leur authenticité. C’est comme un documentaire sur une audition. Dans le film, j’ai également ajouté tout ce qui concerne les références à L’homme qui rit de Paul Leni. Dans le roman, il est juste fait allusion au personnage inventé par Victor Hugo, Gwynplaine et son horrible rictus. Il était important de savoir pourquoi le visage du Dahlia noir avait été lacéré de la sorte. L’idée de défiguration est cruciale dans le film et il fallait en donner au public une image très physique. Je suis donc remonté à la source. Dans le roman de James Ellroy, la clé de l’énigme est contenue dans une bande burlesque des Keystone Cops, avec le décor du lit où a également été tourné le film porno du Dahlia noir. J’ai pensé qu’il serait plus intéressant du point de vue du cinéma et de l’histoire de remplacer un film comique par le classique muet de Paul Leni d’après Victor Hugo.

La direction artistique du film est particulièrement élégante.

Je suis toujours obsédé par l’aspect visuel de mes films. Pour les films à costumes, il faut être attentif au moindre détail, et j’accorde une attention extrêmement pointilleuse aux décors. Pour ce film en particulier la production s’est arrêtée plusieurs fois et j’ai dû chercher de nouveaux lieux de tournage à différentes reprises à Rome, Berlin, Sofia. Finalement, nous avons tourné le film à Sofia pour des questions de budget. Nous avons tout construit là-bas. Nous avons seulement tourné deux semaines à Los Angeles des scènes d’extérieurs impliquant des décors spécifiques à la ville comme certains immeubles, ou Hollywood Boulevard. J’avais une équipe formidable. Dante Ferretti le chef décorateur (qui a longtemps travaillé avec Pasolini, Fellini, et désormais avec Scorsese, ndlr) à fait un travail remarquable. Les décorateurs ont dessiné et construit d’immenses décors pendant des mois à Sofia, récréant des morceaux de ville et Hollywoodland. Cela m’a beaucoup aidé pour concevoir la mise en scène du film et mettre en valeur tous les éléments visuels de l’histoire. Jenny Beavan, la chef costumière a conçu des robes et des chapeaux magnifiques pour les actrices. J’adore filmer des belles femmes, les habiller luxueusement et leur donner une présence éblouissante à l’écran. Les perruques, le maquillage, le rouge à lèvres…

Comme souvent dans vos films, vous associez au glamour cinématographique une vision très noire, vraiment sordide dans le cas du Dahlia noir, de l’humanité. Cela vous plaît de filmer la violence la plus insoutenable dans un décorum de sophistication et de luxe ?

Je trouve le film beaucoup moins violent sur le plan visuel que Scarface et même Les Incorruptibles. Ce qui est dérangeant dans Le Dahlia noir, c’est ce qui arrive à cette pauvre fille, et ce que le spectateur ressent pour elle. La seule image violente contenue dans le film est celle où l’on voit Kate se faire couper le visage. J’ai dit à mon producteur qu’il fallait que ce soit le bon plan au bon moment. Des milliers de films montrent une femme se faire tuer ou poignarder. L’important était de construire un film et de créer des émotions autour de ce crime. Ce qui est très violent, c’est la façon dont elle est morte, et ce que l’on a fait subir à son corps. Pour moi la clé de toute cette histoire, c’est l’incroyable photogénie de ce cadavre de femme coupé en deux. C’est cette terrible ironie qui m’a attiré vers Le Dahlia noir. Cette belle fille est devenue la plus photogénique du monde, une vraie vedette, mais elle n’a pas eu le temps de comprendre qu’il lui faudrait mourir pour qu’il en soit ainsi. Les images d’elle morte sont si horribles qu’on ne l’oubliera jamais.

Plusieurs de vos collaborateurs historiques apparaissent au générique du Dahlia noir : le directeur de la photographie Vilmos Zsigmond (Obsession, Blow Out, Le Bûcher des vanités) ou le monteur Bill Pankow (neuf films ensemble, parmi lesquels Femme fatale et Outrages). On est davantage surpris de retrouver dans un rôle court mais essentiel William Finley, qui fut votre acteur mascotte dès vos premiers films d’étudiants. William Finley est célèbre parmi vos admirateurs grâce à son rôle du médecin de Sœurs de sang et surtout du compositeur fantôme Winslow Leach de Phantom of the Paradise. Quelles sont les raisons de ces retrouvailles inattendues ?

(Rires). Je me trouvais en face du problème suivant. Le personnage de Georgie interprété par William Finley n’a pas vraiment de scènes à jouer, mais il faut toutefois qu’il marque l’esprit du spectateur en une seule image. De la même façon que Conrad Veidt dans L’homme qui rit. Il suffit que vous voyiez une fois Conrad Veidt pour ne plus jamais l’oublier. Avec sa stature et son visage, William Finley est capable de provoquer la même réaction auprès du public. J’ai toujours utilisé William Finley, depuis mes premiers courts métrages d’avant-garde jusqu’à Phantom of the Paradise et aujourd’hui Le Dahlia noir, comme un acteur du cinéma expressionniste muet. Dans Le Dahlia noir tout le monde parle de Georgie, de son histoire, de ce qui lui est arrivé, de ce qu’il a fait. Au moment de la révélation finale, il faut que le spectateur se souvienne de lui.

Une partie de la critique et de la profession vous a longtemps reproché de copier Hitchcock avant d’admettre l’importance et l’originalité de votre travail.

Il n’y a rien de mal à puiser son inspiration dans d’autres films et connaître l’histoire du cinéma quand on est cinéaste. Cela contrarie beaucoup l’industrie cinématographique qui est prompte à vous accuser de vol, de plagiat ou de pillage. Je trouve cela absurde. On construit toujours une œuvre sur les trésors du passé. Cela semble beaucoup plus naturel dans les domaines de la peinture, de la littérature, ou de la musique. Bien sûr que l’on a beaucoup à apprendre de ce que certains artistes ont pu créer avant vous. Vous pouvez associer vos propres idées à ce qui a été déjà montré ou inventé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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