A l’heure de la commémoration du centenaire de la Première Guerre Mondiale et de l’anniversaire de l’armistice du 11 novembre il est possible de revoir deux chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma consacré au conflit de 14-18. L’un réalisé aux Etats-Unis à la fin du muet, l’autre en France au début du parlant. Deux films immenses et admirables par leurs qualités artistiques et morales, qui repoussèrent en leur temps les frontières de l’aventure et de la création cinématographiques.
Les Ailes (Wings, 1927) de William A. Wellman est de nouveau visible en salles depuis le 5 novembre dans une version restaurée grâce au distributeur Carlotta, Les Croix de bois (1931) de Raymond Bernard ressort en salles et en Blu-ray le mercredi 12 novembre, là aussi dans une somptueuse restauration due à la maison mère Pathé.
Les Ailes fut le premier film à recevoir l’Oscar, et l’un des derniers grands titres de l’ère du cinéma muet à Hollywood. Avant cette consécration et un formidable succès commercial, ce fut l’aventure la plus folle et la plus coûteuse entreprise par un studio, en l’occurrence Paramount. Le film fut confié à William A. Wellman, alors jeune cinéaste à l’orée de sa longue carrière mais doté d’un atout sérieux pour mettre en scène cette vaste fresque sur l’amitié de deux aviateurs américains sur le front français : Wellman avait servi comme pilote dans la fameuse escadrille La Fayette pendant la Première Guerre mondiale. Il s’empara du projet pour le doter d’un réalisme absolu dans la reconstitution des combats aériens et de la bataille de Saint-Mihiel où les troupes américaines furent fortement engagées en septembre 1918. Le perfectionnisme du réalisateur le pousse à stopper plusieurs jours une production budgétée à plus de deux millions de dollars – une fortune jamais atteinte à l’époque – pour guetter l’apparition de nuages dans les ciel et rendre les ballets aériens plus saisissant. Emaillé de violents conflits le tournage se déroula loin des studios californiens, au Texas. Célèbre à juste titre pour ses stupéfiantes prises de vues aériennes réalisées sans trucages, avec des caméras fixées sur les cockpits des avions, sans recours à des maquettes, Les Ailes assoira la réputation de tête brûlée intraitable de Wellman, surnommé « Wild Bill ». Rivalisant d’ingéniosité et de témérité pour réaliser son film, il entraînera avec lui une équipe de cascadeurs et de caméramans prêts à prendre tous les risques pour rapporter des images inédites qui fascinent aujourd’hui encore par leur beauté spectaculaire et leur réalisme. Afin d’obtenir des gros plans en plein ciel Wellman n’aura pas d’autre solution que de demander à ses jeunes vedettes de prendre des leçons accélérées de pilotage pour qu’ils puissent eux-mêmes voler et enclencher des petites caméras sur leurs avions. Le résultat est exceptionnel, et n’a rien à envier aux surenchères technologiques des films contemporains, bien au contraire – on peut noter que Les Ailes ressort le même jour que le lancement français Interstellar de Christopher Nolan qui avoue dans la promotion sa dette à un grand film néo-classique sur la conquête spatiale, L’Etoffe des héros de Philip Kaufman, rejeton tardif des films de Wellman, Walsh et Ford.
Au-delà de l’épopée de son tournage et de sa dimension spectaculaire la superproduction de Wellman est avant tout un mélodrame sur l’amour et l’amitié entre deux hommes (un riche et un pauvre, joués par Richard Arlen et Charles Rogers) et une femme (la « it girl » Clara Bow) à peine sortis de l’enfance et plongés dans l’horreur de la guerre. Leur différence de classe s’évanouira à l’armée et une relation de fraternité presque amoureuse naîtra entre les deux garçons, laissant peu de place à la fille elle aussi sous les drapeaux. Constamment virtuose la mise en scène de Wellman se révèle également magnifique et inventive lors les scènes intimes, dans la première partie sur le sol américain ou lors de cette folle nuit de permission à Paris lors de laquelle l’un de ses héros, ivre mort pour oublier l’horreur des combats, voit des bulles de champagne sortir des éléments du décor et des instruments de musique (hallucination visuelle reprise telle quelle bien des années plus tard dans Killing Zoe, sans que l’on sache si cette citation est intentionnelle de la part de Roger Avary.)
A noter la présence brève mais inoubliable du jeune Gary Cooper, dans le rôle du cadet White qui croise les deux héros juste avant de mourir lors d’un banal vol d’entraînement avant même de partir à la guerre, préfigurant le destin de l’un des protagonistes. Déjà beau comme un dieu, Cooper aura eu le temps de devenir une star avant même la sortie des Ailes et retrouvera Wellman dès l’année suivante, cette fois en vedette, dans un autre film de guerre sur l’aviation, Les Pilotes de la mort (The Legion of the Condemned) qui inclut de nombreux extraits et prises de vues aériennes non utilisées du film précédent.
Demain nous évoquerons Les Croix de bois.
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