Olivier Père

Basic Instinct de Paul Verhoeven

ARTE diffuse dimanche 20 juillet à 20h45, en ouverture de son « Summer of the 90’s » un film emblématique du début de cette décennie : Basic Instinct (1992) de Paul Verhoeven.

Nick Curran (Michael Douglas), inspecteur de police à San Francisco, enquête sur le meurtre d’une star du rock, Johnny Boz, tué de trente et un coups de pic à glace par une inconnue alors qu’il faisait l’amour. Nick apprend que le chanteur fréquentait Catherine Tramell (Sharon Stone), riche et brillante romancière. Au cours de son enquête, il s’aperçoit que les parents de Catherine sont morts dans un accident suspect, que son professeur de psychologie a été assassiné dix ans plus tôt à coups de pic à glace et qu’enfin, une de ses meilleures amies a, en 1956, tué ses trois enfants et son mari.

Michael Douglas et Sharon Stone

Michael Douglas et Sharon Stone

Ce thriller sexuel qui fit couler beaucoup d’encre en raison de scènes scandaleuses est le résultat de l’association explosive entre le scénariste sulfureux Joe Eszterhas, figure du Hollywood cocaïné des années 80 et des « concept films » produits par Don Simpson (Flashdance entre autres) et le réalisateur Paul Verhoeven, génie provocateur, satiriste et visionnaire venu des Pays-Bas et auréolé du succès de ses deux premiers films hollywoodiens, incursions réussies dans la science-fiction : RoboCop et Total Recall.

Sharon Stone

Sharon Stone

Le résultat sera un néo thriller récapitulatif de tout un courant du cinéma criminel et érotique hollywoodien illustré la décennie précédente par Brian De Palma, avec des films comme Pulsions ou Body Double qui eux non plus ne cachaient pas leur dette envers Alfred Hitchcock. Ils l’exhibaient, au contraire, alors que Verhoeven se montre plus discret avec ses citations et emprunts au maître du suspense même si le décor de San Francisco, de longs plans sinueux, le dédoublement de la femme désirée et la musique de Jerry Goldsmith renvoient directement à Sueurs froides. Basic Instinct entretient aussi de nombreuses similitudes avec Ténèbres de Dario Argento, « giallo » brutal et glacé dans lequel un écrivain de polars était mêlé à des crimes sadiques. Basic Instinct vu à l’époque de sa sortie comme un film purement commercial – ce sera d’ailleurs le plus gros succès public de Verhoeven – doit pourtant être réinscrit dans la filmographie du cinéaste qui avait déjà abordé le thème de la mante religieuse dans un film de sa période hollandaise, Le Quatrième Homme, dans lequel un écrivain catholique et homosexuel était obsédé par une femme fatale blonde présentant de nombreux points communs avec le personnage de Catherine Tramell. Malgré un scénario peu subtil qui distille des scènes de sexe assez grotesques Verhoeven parvient à signer un vrai film d’auteur – le grotesque et la trivialité traversant d’ailleurs toute son œuvre, à la manière des grands peintres flamands auxquels il se réfère. Il n’y avait que Verhoeven pour bousculer avec autant de violence et d’ironie la censure et le puritanisme anglo-saxon, montrant le sang mais aussi le sperme, les organes et les corps nus, soulignant l’angoisse et la peur qui entourent la sexualité aux Etats-Unis, beaucoup plus choquante et réprimée que la violence dans les productions hollywoodiennes. Le matériau d’origine est transcendé par la virtuosité et l’intelligence de la mise en scène qui multiplie les longs plans très chorégraphiés. Ce qui différencie peut-être Basic Instinct des autres films – américains et hollandais – de Verhoeven c’est l’absence de dimension politique et critique qui en fait, malgré les apparences, un spectacle bien moins dérangeant que Showgirls ou Starship Troopers. Basic Instinct restera pourtant dans l’histoire du cinéma américain contemporain pour avoir inventé une actrice indissociable de son personnage, avatar postmoderne de la garce vénéneuse des films noirs. Verhoeven avait déjà offert à Sharon Stone, petite actrice de téléfilms et de séries B, un rôle court mais mémorable dans Total Recall dans lequel elle campait une femme double, ange et démon, épouse dévouée et tueuse sans merci, changeant de masque avec une agilité aussi spectaculaire que son aptitude au corps à corps. Sharon Stone deviendra une star planétaire grâce à Basic Instinct et son interprétation brillante de Catherine Tramell (le rôle avait été refusé par de nombreuses actrices effrayées par les scènes érotiques), capable de faire cohabiter une sexualité explicite – l’actrice ne cache rien de son intimité – et de demeurer une énigme insondable, avec un charme pervers et une palette émotionnelle très riche qu’elle n’aura malheureusement plus souvent l’occasion de déployer dans de bons films par la suite, mis à part le superbe Casino de Martin Scorsese en 1995.

Michael Douglas et Sharon Stone

Michael Douglas et Sharon Stone

On se plongera avec plaisir dans l’univers de Paul Verhoeven en lisant le passionnant livre d’entretiens avec le cinéaste publié récemment aux éditions Rouge Profond : Au jardin des délices, entretiens avec Paul Verhoeven de Nathan Réra, dans lequel l’auteur de La Chair et le Sang revient longuement sur son parcours, ses méthodes de travail, les thèmes de ses films et sa passion pour l’Histoire, la peinture et les différentes formes de représentations artistiques… Un essai qui confirme l’intelligence et l’enthousiasme d’une personnalité longtemps controversée et qui s’est affirmé au fil des ans – et avec son dernier chef-d’œuvre en date Black Book – comme l’un des grands cinéastes de notre temps.

 

 

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