Olivier Père

Le Bonheur de Marcel L’Herbier

La Fondation Pathé a restauré l’année dernière Le Bonheur (1934) de Marcel L’Herbier et le propose maintenant à la vente dans une édition collector Blu-ray + DVD. Belle initiative qui permet de revoir un classique un peu oublié – à tort – du cinéma français, sans doute l’un des meilleurs films d’un cinéaste lui aussi au purgatoire depuis pas mal de temps. En effet Marcel L’Herbier a disparu des radars de la cinéphilie : ses films muets représentatifs du cinéma d’art des années 20, puis son passage au parlant avec des adaptations littéraires et des productions plus commerciales laissent l’image d’un réalisateur hautain et poussiéreux, lentement passé de l’avant-garde élitiste à l’académisme prétentieux, avec une caractéristique commune à l’ensemble de son œuvre, toutes périodes confondues : l’ennui poli qu’elle dégage. Pourtant, si l’on consulte l’ouvrage subjectif mais exhaustif – déjà une référence absolue – de Paul Vecchiali sur les réalisateurs français des années 30, « l’encinéclopédie » en deux volumes aux éditions de l’œil, c’est peut-être au sujet des films de Marcel L’Herbier que le mot « chef-d’œuvre » est employé le plus souvent. Certes ses films à prestige muets ont mal traversé l’épreuve du temps, et sa fin de carrière est embarrassante, mais Vecchiali affirme que Marcel L’Herbier a sans doute donné le meilleur de lui-même – comme beaucoup de réalisateurs français d’ailleurs – dans les fantastiques années 30 avec des titres qui donnent tout son sens à l’expression « art populaire. » Parmi ses films, Le Bonheur est sans doute la plus éclatante réussite de L’Herbier, et la superbe restauration de Pathé permet de le vérifier. Il s’agit d’une adaptation d’une pièce de Henry Bernstein, auteur à succès qui inspirera beaucoup plus tard Alain Resnais et son Mélo. Point de théâtre filmé ici mais un enrichissement cinématographique de l’œuvre dramatique originale, dont L’Herbier conserve l’esprit et les dialogues étincelants, et même la folie douce.

Blessée par l’anarchiste Philippe Lucher (Charles Boyer), l’actrice de cinéma Clara Stuart (Gaby Morlay) tombe amoureuse de son agresseur et décide de plaider en sa faveur à son procès. Le film se déroule de manière passionnante imprévisible, avec une longue première partie qui met en place les personnages sans que l’on puisse deviner l’attentat à la sortie du théâtre, puis le procès de Lucher (prétexte à une tirade géniale de l’anarchiste sur les raisons de son geste et le choix de sa cible), puis la dernière partie dans laquelle L’Herbier invente une mise en abyme vertigineuse absente de la pièce : après son rétablissement Clara Stuart accepte de participer à une production s’inspirant du drame dont elle a été la victime. Le film devient alors un film sur le cinéma, avec la reconstitution de ce que nous avons vu – ou plutôt que nous n’avons pas vu au début du film, sous les yeux de Lucher bouleversé par ce simulacre. Le Bonheur qui a visiblement bénéficié de moyens considérables est un film magistral, tant sur le plan de la mise en scène ample et sophistiquée que de l’interprétation, avec deux des plus grandes vedettes de l’époque, Charles Boyer et Gaby Morlay dans des rôles inhabituels qui leur offrent l’occasion de performances extraordinaires. On y retrouve aussi Michel Simon qui se livre à une composition assez gratinée d’impresario homosexuel, et Paulette Dubost charmante en naïve amoureuse de Lucher. Le Bonheur est admirable parce que L’Herbier y poursuit ses ambitions de cinéma artistique et prestigieux, et même volontiers intellectuel en abordant un matériau qui relève du mélodrame le plus délirant et excessif, comme on l’adore, avec ses larmes et ses chansons (ici celle qui donne son titre au film) et sans jamais traiter le genre de haut.

 

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