Olivier Père

TIFF 2013 Under the Skin de Jonathan Glazer

Depuis Birth nous tenons Jonathan Glazer pour l’un des cinéastes les plus passionnants de sa génération. Passionnant, surdoué mais trop discret et guère productif, auteur de seulement trois films en treize ans, mais à l’ambition formelle et narrative croissante, Sexy Beast, le superbe Birth et enfin Under the Skin, sans doute ce que nous avons vu de plus génial à Toronto. Il s’agit d’une interprétation très personnelle d’un roman de Michel Faber paru en 2000. Un(e) extra-terrestre prend l’apparence d’une jeune femme (Scarlett Johansson, brune) et traverse l’Ecosse en voiture, rencontrant plusieurs hommes sur sa route. Ces rencontres  – sexuelles – sont filmées d’abord de manière réaliste puis comme des allégories, les proies masculines nues disparaissant dans une mystérieuse matière noire, devant l’objet de leur désir au mutisme insondable. Jonathan Glazer est un créateur sans égal d’images, d’univers sonores et visuels d’une étrangeté et d’une beauté sidérantes. Under the Skin est un voyage hypnotique à travers les villes et les campagnes (sinistres, frappées par la crise), une expérience sensorielle qui retranscrit le regard d’un extraterrestre sur notre monde. Les plans de Glazer sont sublimes, la bande son extraordinaire parvient à transformer des paysages quotidiens en espaces fantastiques. Le film aurait pu se réduire à une succession d’images glacées davantage à leur place dans une galerie d’art contemporain que sur un écran de cinéma, mais il n’en est rien. Le voyage qu’il nous propose est autant mental qu’émotionnel. Glazer se rattache à une histoire de la modernité cinématographique, qui passe par Antonioni et Kubrick, ce dernier étant sans doute la grande référence de Glazer. Barry Lyndon et Eyes Wide Shut étaient ouvertement cités dans Birth. Il y a sans doute plus de 2001 : l’odyssée de l’espace dans certains plans de Under the Skin – et en particulier le prologue cosmique – que dans le métrage entier de Gravity, où les prouesses techniques sont au service d’un scénario et de dialogues conventionnels. Au contraire Glazer explore des zones d’inconfort et de malaise qui ne sont pas seulement esthétisantes. Under the Skin est un grand film sur le thème de la rencontre et de l’altérité, pose un regard inédit sur la solitude, la monstruosité ordinaires au travers de portraits masculins saisissants, d’ambiances urbaines hyperréalistes captées par une caméra miniature inventée spécialement pour le film. Glazer est aussi le seul cinéaste depuis Woody Allen à vraiment regarder Scarlett Johansson, magnifique dans un rôle aux antipodes de tout ce qu’elle a pu faire auparavant. Quasiment muette, elle joue avec son regard et surtout son corps, enveloppe de peau renfermant un mystère organique et sexuel – venu des étoiles, mais qui rejoint aussi le continent noir du mystère féminin – qu’elle emportera avec elle.

Scarlett Johansson dans Under Skin

Scarlett Johansson dans Under the Skin

 

Under the Skin est un film-frère (soeur?) de Holy Motors de Leos Carax, et pas seulement pour son inventivité et ses images poétiques libérées d’un scénario traditionnel. C’est un film-voyage avec ses étapes, ses accidents et ses sorties de routes. C’est une odyssée de notre temps, chargée d’angoisse et de questions existentielles. C’est aussi un film triste et hanté par la violence du monde, une élégie de la féminité.

 

Nous attendons avec impatience la sortie française de Under the Skin pour pouvoir revenir sur cette expérience cinématographique fascinante.

 

 

 

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