Olivier Père

Rafles sur la ville de Pierre Chenal

Depuis mercredi 4 septembre (et jusqu’au 4 octobre) la Cinémathèque française rend un hommage plus que mérité à l’immense Michel Piccoli, acteur génial dont la filmographie traverse le meilleur du cinéma des années 50 à nos jours, avec un palmarès impressionnant : qui peut en effet se vanter d’avoir tourné à la fois avec Jean Renoir et Leos Carax, Mario Bava et Jean-Luc Godard, Luis Buñuel et Bertrand Bonello, Alfred Hitchcock et Jacques Demy, Marco Ferreri et Claude Sautet, Manoel de Oliveira et Claude Chabrol, pour ne citer que quelques-uns des grands cinéastes avec lesquels il travailla, sans oublier de récentes retrouvailles avec Alain Resnais ? Naviguant avec souplesse entre les poètes de la modernité et les ténors de la Nouvelle Qualité française, la carrière de Michel Piccoli raconte à elle seule toutes les aventures et les transformations du cinéma contemporain, et c’est loin d’être fini. Parmi les nombreux chefs-d’œuvre et interprétations mémorables de Michel Piccoli, nous avons choisi un film, revu récemment, qui lui offre l’un de ses premiers grands rôles et que nous aimons beaucoup : Rafles sur la ville (1958) de Pierre Chenal. On ne le dit ou on ne le sait pas assez, mais Pierre Chenal est un cinéaste remarquable, à réévaluer d’urgence, et Rafles sur la ville figure parmi des meilleurs films policiers français jamais réalisés. Rafles sur la ville raconte la traque impitoyable d’un vieux truand, qui est aussi un tueur fou (d’ou son surnom, « Le Fondu ») par la police parisienne. C’est l’inspecteur Vardier qui est chargé de l’enquête, et il en fait une affaire personnelle depuis que son collègue a été tué par Le Fondu lors d’une tentative d’arrestation. Pour trouver où se planque Le Fondu, Vardier va utiliser et sacrifier sans scrupule un indicateur, le propre neveu du gangster. Parallèlement à l’intrigue policière, Vardier dragueur impénitent séduit puis tombe amoureux de la femme de son nouvel adjoint, un jeune homme inexpérimenté et issu de la bourgeoisie. Charles Vanel incarne Le Fondu tandis que Michel Piccoli impressionne dans le rôle de Vardier. Le personnage de Vardier s’avère presque programmatique dans la carrière de l’acteur, qui jouera souvent des séducteurs cyniques – et même un Don Juan mémorable dans la dramatique télévisée de Marcel Bluwal en 1965. Ce qui passe d’abord pour une attitude misogyne et ignoble – Piccoli ne fait rien pour rendre Vardier attachant ou sympathique, il est odieux avec les femmes et les suspects, méprisant avec ses collègues – se transforme en obsession sensuelle et amoureuse, et le chasseur se retrouve pris à son propre piège. L’attirance pathologique pour une femme est aussi un motif récurrent dans les films de Piccoli, notamment chez Sautet (Max et les Ferrailleurs, Mado.) Enfin, la violence de Vardier finit par se manifester contre son propre coéquipier – il tente de se débarrasser du mari de sa maîtresse en l’envoyant au casse-pipe – puis contre lui-même, lors d’un dénouement extraordinaire. Vardier se sacrifie en se couchant sur la grenade que Le Fondu gardait toujours avec lui en cas de situation désespérée. On retrouvera comme une constante le thème de l’autodestruction ou de la crise morale chez Piccoli qui incarnera régulièrement des personnages suicidaires ou en rupture de ban.

 

Dans les polars de Pierre Chenal et en particulier celui-ci se ressent l’influence des films noirs américains avec lesquels ils partagent une approche documentaire matinée d’ambiances nocturnes et expressionnistes. L’interprétation masculine est intéressante car elle oppose deux folies, deux générations et deux tempéraments à l’écran : un acteur réaliste des années 30 (Charles Vanel) et Michel Piccoli exprimant déjà par son jeu une véritable modernité, qui passe par une violence névrotique (oublions Mouloudji, à la composition engluée dans les clichés rances du jeune type veule et dégénéré.)

« Admirable Michel Piccoli », c’est ainsi que Jean-Luc Godard saluait la performance de l’acteur dans une critique positive de Rafles sur la ville publié en avril 1958 dans les « Cahiers du cinéma. » Godard se souviendra de Piccoli pour interpréter Paul Javal dans Le Mépris, rôle initialement prévu pour Frank Sinatra, et ne tarira pas d’éloge sur lui (« j’ai pris Piccoli parce que j’avais besoin d’un très, très bon acteur. Il a un rôle difficile et il le joue très bien. Personne ne s’aperçoit qu’il est remarquable, parce qu’il a un rôle tout en détails. »)

Michel Piccoli a aussi joué dans un autre polar de Pierre Chenal réalisé l’année suivante, La Bête à l’affut, pas encore vu, également projeté dans le cadre de la rétrospective qui proposera un dialogue avec Michel Piccoli à l’issue de la projection d’Une étrange affaire de Pierre Granier-Deferre (encore un film formidable avec un Piccoli superbe en patron pervers et manipulateur), samedi 7 septembre à 14h30. Lire aussi le texte de Serge Toubiana « admirable Michel Piccoli » sur le site de la CF.

 

Rafles sur la ville sera projeté à la Cinémathèque française lundi 16 septembre à 17h, salle Georges Franju.

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