Olivier Père

Vaudou de Jacques Tourneur

Les Editions Montparnasse fêtent les dix ans de la collection « Classiques de poche de la RKO » riche de 140 titres du célèbre studio hollywoodien. A cette occasion la collection s’enrichit de sept titres supplémentaires, parmi lesquels deux films de Jacques Tourneur produits par Val Lewton pour la RKO, The Leopard Man et Vaudou (I Walked with a Zombie) tous deux réalisés en 1943. L’année précédente, les deux hommes avaient signé La Féline, leur premier film fantastique en commun, chef-d’œuvre poétique qui reposait sur un art subtil de la suggestion, et un mélange de vieilles légendes et superstitions associées à une angoisse diffuse et une étude psychologique d’un personnage féminin sensuel et névrosé dans un environnement urbain et moderne. Ce titre fondateur allait donc être immédiatement suivi par deux films qui n’ont rien à lui envier.

Vaudou

Vaudou

Vaudou explore le thème du zombie en lui confère une valeur romantique, permettant à Jacques Tourneur d’exprimer son intérêt personnel pour les sciences occultes. Le scénario, écrit par Curt Siodmak, Val Lewton et Ardel Wray, s’inspire librement du roman « Jane Eyre » de Charlotte Brontë. Betsy est engagée comme infirmière aux Antilles par le planteur Paul Holland, pour s’occuper de sa femme Jessica, qui respire et marche mais refuse de parler. Au cœur de la nuit tropicale, Betsy va rapidement découvrir la vérité : sa patiente est un zombie, sous l’emprise maléfique du vaudou…

Plus encore que les autres films fantastiques de Tourneur, Vaudou évacue les scènes chocs obligatoires pour se laisser submerger par une atmosphère particulière de pourrissement et de décomposition, si bien décrite par Paul Holland sur le bateau lors du voyage d’arrivée de l’héroïne, et qui lui confère sa poésie unique. La beauté des îles n’est pas contaminée par la mort et la maladie, elle émane de la mort elle même. Vaudou est la plus belle illustration du cinéma selon Tourneur, cet art qui permet d’évoluer entre le rêve et la réalité, l’ombre et la lumière, l’humanité et la monstruosité, la magie et la science, comme les zombies errent entre la vie et la mort, dans un état intermédiaire et végétatif. Aucun effet facile ni même spécial dans Vaudou mais au contraire des dialogues superbes et une histoire centrée autour de secrets familiaux et de liaisons amoureuses interdites. L’incipit du film « I Walked with a Zombie » murmurée par l’héroïne en voix off, est une invitation à l’un des récits les plus étranges et envoûtants du cinéma américain.

Nous avons appris hier la disparition, à l’âge de 99 ans, d’un grand directeur de la photographie, le britannique Gilbert (« Gil ») Taylor qui avait éclairé plusieurs films importants des années 60 et 70, souvent dans le domaine du fantastique et de la science-fiction. Dans les années 50 Taylor avait travaillé sur de nombreux titres du cinéma commercial anglais, très fréquemment signés Jack Lee Thompson ou Cyril Frankel. Mais son style luxuriant et sophistiqué s’épanouit dans les années 60, lorsque son travail époustouflant sur Docteur Folamour de Stanley Kubrick est très remarqué internationalement. Taylor sera alors très demandé par les cinéastes européens ou américains venus tourner en Grande-Bretagne, comme Roman Polanski (Répulsion, Cul-de-sac, Macbeth), James B. Harris (Aux postes de combat), Richard Donner (La Malédiction), George Lucas (La Guerre des étoiles) ou John Badham (Dracula). Les images en couleur de Macbeth, La Malédiction ou Dracula comptent parmi les plus belles de la décennie. C’est aussi Gilbert Taylor qui signera la photo de Frenzy, grand retour de Hitchcock à Londres en 1972.

Répulsion de Roman Polanski

Répulsion de Roman Polanski

C’est sans doute sa participation au triomphe de La Guerre des étoiles qui vaudra à Gilbert Taylor de mettre son talent au service de deux « space operas » extravagants et d’un goût contestable, le très amusant et psychédélique Flash Gordon de Mike Hodges en 1980 et le complètement oublié et raté Rock Aliens de James Fargo en 1984.

 

 

 

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Un commentaire

  1. Bertrand Marchal dit :

    Val Lewton avait de l’or dans les mains, de l’or terni, noir de la suie des cauchemars. Quel dommage qu’il soit mort si tôt!

    J’ai revu Vaudou à la suite de Cat People. Et j’ aurais aimé voir aussi l’Homme Léopard dans la foulée, mais le dvd avait un défaut.

    Tourneur et Lewton ont définitivement posé les jalons de l’horreur moderne, psychologique, qui naît de la rencontre des brumes extérieures et intérieures. Votre comparaison avec Polanski est bien trouvée!

    De ce film en particulier suinte une atmosphère délétère qui culmine dans l’itinéraire fantastique qui mène les deux femmes à la réunion vaudou. Quelle ambiance, quelle belle science du silence et du rythme, de la construction d’un plan, en ombres et lumières. Tourneur n’est certes pas un « petit » maître!

    Même le jeu retenu des acteurs, sans grand relief, recèle sa part de pénombre qui excite l’intérêt.

    Autre grand moment, la longue scène en deux séquences du chanteur de rue qui dit sa vérité à la famille de planteurs; une petite musique enlevée qui agit comme une mélopée infernale!

    Du grand art!

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