Olivier Père

Rétrospective Raffaello Matarazzo à la Cinémathèque française (1)

C’est l’événement à ne manquer sous aucun prétexte pour ceux qui pensent avoir tout vu et tout connaître de l’histoire du cinéma. Depuis le 3 juillet la Cinémathèque française propose une rétrospective dédiée à Raffaello Matarazzo (jusqu’au 4 août). Excellente initiative, longtemps guettée par les amateurs de cinéma italien, qui va permettre de découvrir un réalisateur méconnu et un nom important du cinéma populaire transalpin, et en particulier du mélodrame. Matarazzo est un mot de passe auprès d’une certaines frange de la cinéphilie, et nul doute que cette programmation va élargir – et rajeunir – le champ de ses admirateurs. Je voulais consacrer une rétrospective Matarazzo au Festival del film Locarno, mais mon départ pour ARTE m’en a empêché. Elle aurait ainsi succédé à celles dédiées à Lubitsch, Minnelli et Preminger, plaçant Matarazzo dans une généalogie du cinéma classique où la rigueur et la précision de la mise en scène magnifient et transcendent la violence ou la beauté des sentiments, au-delà des clichés et des conventions.

Amedeo Nazzari et Raffaello Matarazzo

Amedeo Nazzari et Raffaello Matarazzo sur le tournage de Malinconico autunno

« Le fait que Matarazzo ne soit pas encore considéré comme l’un des premiers cinéastes d’Italie est une erreur que les générations futures de cinéphiles ne manqueront pas de rectifier. En ce qui concerne plus particulièrement les années 1929-1943, Alessandro Blasetti et Mario Camerini, généralement considérés comme les meilleurs cinéastes de la période, et qui, certes, ne manquent pas de talent, sont des écoliers comparés à lui. » écrit Jacques Lourcelles dans son « Dictionnaire du cinéma ». On ne peut que donner raison au critique français, l’un des premiers à avoir salué le talent de Matarazzo, et qui signe le beau texte accompagnant la rétrospective dans le programme et sur le site de la Cinémathèque, à lire absolument.

Commençons par les trois premiers films vus ou revus à l’occasion de cette programmation.

L’avventuriera del piano di sopra (1941)

L'aventuriera del piano di sopraCe film inédit en France a la réputation d’être l’un des préférés de Matarazzo, qui exprimait rarement la moindre fierté au sujet de son travail : mais il aimait beaucoup cette comédie sans doute parce qu’elle démontre son talent dans un autre genre que celui qui allait asseoir sa popularité auprès du public, le mélodrame. Il s’agit d’une comédie sophistiquée dans le style « telefoni bianchi », soit une adaptation italienne de la « screwball comedy » hollywoodienne. Un avocat coureur de jupons espère profiter des vacances de son épouse très jalouse pour faire une nouvelle conquête. Il se réjouit de l’intrusion d’une belle jeune femme dans son appartement, mais l’aubaine tourne vite à la catastrophe… Cette comédie à quiproquos qui est aussi une étude de caractères bénéficie du bagout insensé de Vittorio De Sica, alors grande vedette comique, et du sens du rythme de Cottafavi qui n’a rien à envier à ses modèles américains. On pense bien sûr à Lubitsch mais aussi à Guitry pour le plaisir du verbe et du jeu. Ce grand succès en Italie fit l’objet d’un remake en 1955, Buonanotte… avvocato !, véhicule pour Alberto Sordi.

Le film est projeté samedi 20 juillet à 19h30

 

Bannie du foyer (Tormento, 1950)

Bannie du foyerDeuxième film du couple Nazzari-Sanson après Le Mensonge d’une mère (Catene, 1949, photo en tête de texte) ce mélodrame torrentiel possède tous les ingrédients qui firent le succès de ce sous-ensemble (sept films) extraordinaire au sein de la filmographie de Matarazzo. Un couple injustement séparé par un coup du destin – ici l’homme est envoyé en prison pour un meurtre qu’il n’a pas commis, plongeant sa promise dans le désarroi et la misère ; une mère qu’on tente de séparer de son enfant ; l’acharnement d’une personne méchante contre l’héroïne… Bannie du foyer est particulièrement remarquable pour son personnage de marâtre odieuse dont le seul plaisir semble être de faire le mal, et en particulier tourmenter par tous les moyens son innocente belle-fille (Yvonne Sanson.) La mégère est sans doute l’une des femmes les plus mauvaises qu’on ait vu sur un écran… Si bien que les baffes qu’elle finit par recevoir à la fin du film de sa vieille domestique, excédée par son antipathique maîtresse, ne peuvent que déclencher le soulagement et même les applaudissements des spectateurs. Les mélodrames de Matarazzo n’illustrent pas tant le combat entre le bien et le mal que celui de la bonté confrontée à la méchanceté. Ce n’est pas la société qui cause le malheur des héros mais des individus pathologiquement méchants ou envieux, généralement issus de la bourgeoisie et des classes supérieures. Bannie du foyer comme les autres mélodrames de Matarazzo est baignée de religiosité. La mère supérieure au comportement froid et implacable finit par dévoiler son humanité – elle fut elle aussi cruellement marquée par le destin – et soutenir l’héroïne dans sa terrible épreuve.

Le film est projeté ce soir à 19h30

 

Qui est sans péché ? (Chi è senza peccato…, 1952)

Quatrième film de la série Nazzari-Sanson, cette fois-ci librement inspiré de « Geneviève, histoire d’une servante » de Lamartine. Un homme parti travailler au Canada pense à cause d’un terrible malentendu que sa femme l’a trompé et abandonné. Superbe film sur la douleur de l’absence et le risque de la tentation. Une fois de plus la bonté des personnages est bafouée puis finalement récompensée. C’est la charité chrétienne du personnage d’Amedeo Nazzari qui lui permet de retrouver presque par miracle la femme dont il a été séparé pendant douze ans. C’est de nouveau une femme aisée, ici une veille aristocrate, qui provoque indirectement la mort d’une fille enceinte et envoie une innocente en prison dans le seul but de préserver l’honneur de sa caste, qui est la cause des malheurs de nos héros. Françoise Rosay prête ses traits durs à la Comtesse Lamieri, rattrapée par le poids du remords à la fin du film. On sort lessivé par autant de retournements de situations et d’émotions fortes.

Film projeté demain vendredi 19 juillet à 21h45

A suivre…

 

 

 

 

 

 

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2 commentaires

  1. Bertrand Marchal dit :

    Dans son dictionnaire, Lourcelles consacre de nombreuses entrées à ce cinéaste. Impossible de trouver ses films en France ou Belgique, les éditions allemandes ou italiennes ne sont pas sous-titrées et rares de toute façon (et chères).
    Dommage, voilà un cinéaste qui a connu un vrai grand succès populaire qui ne s’est jamais démenti et qui est resté invisible. C’est aussi le cas de la série des Fantozzi, seul le premier est sorti dans une édition française convenable en VO sous-titrée – là aussi, immense succès en Italie.
    Trop italiens sans doute et pas assez exportables.

    • Olivier Père dit :

      Oui j’ai eu la chance de pouvoir suivre la rétro Matarazzo à la Cinémathèque et j’ai certains de ses films en DVD italiens. Le cinéma populaire italien (en particulier le mélo et la comédie) a produit tellement de films que la France ne connaît que la partie immergée de l’iceberg. Je vous confirme que les premiers films de la série Fantozzi de Luciano Salce avec Paolo Villaggio sont hilarants…

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