Olivier Père

Tristana de Luis Buñuel

ARTE consacre ce lundi une nouvelle soirée à Luis Buñuel avec la diffusion idéale de ses deux chefs-d’œuvre avec Catherine Deneuve : Belle de jour (1968) à 20h50 et Tristana à 22h25.

Nous reviendrons bientôt sur le sublime et justement mythique Belle de jour. Quant au génial Tristana, c’est sans doute l’un des films dans lequel Buñuel se confie le plus, au même titre que Viridiana.

D’abord Tristana est un film espagnol, tourné en pleine période française du cinéaste. Buñuel retrouve Tolède, une ville qui éveille en lui la nostalgie de sa jeunesse surréaliste en compagnie de Lorca et Dalì.
Tristana, comme Viridiana et aussi Nazarin, est tiré d’un roman de Benito Pérez Galdós, écrivain madrilène de la fin du XIXème siècle dont Buñuel adapte l’univers vériste en le parsemant de touches surréalistes et oniriques. La mise en scène de Buñuel est magistrale car elle ne repose sur aucun effet, déployant une forme classique et un montage inventif qui possèdent la précision du rêve.
Tristana est une orpheline recueillie par Don Lope de Tolède, qui devient son tuteur, puis son amant. Mais bientôt, elle l’abandonne et part vivre avec un peintre, Horacio. Quelques années après, la jeune femme revient malade d’une tumeur à la jambe…
Les deux films se déroulent dans la bourgeoisie de province, conservatrice et catholique : à la différence près que le personnage de Don Lope interprété par Fernando Rey (qui prêtait aussi ses traits à Don Jaime dans Viridiana) est un libre-penseur anticlérical et libertin, donc en conflit ouvert avec sa classe. Il en adopte néanmoins les rituels et les coutumes, moqués avec insistance par le cinéaste qui éprouve cependant beaucoup de tendresse pour Don Lope, sur lequel il projette certaines de ses obsessions et de ses idées, mais surtout son angoisse devant la vieillesse, le déclin du corps et de l’esprit. Buñuel a 69 ans quand il tourne Tristana, soit approximativement le même âge que Don Lope, que l’on voit passer du statut de vieux beau à celui de vieillard le temps du film. Don Lope qui clamait haut et fort ses opinions libertaires au début du film finira presque sénile à boire du chocolat avec des curés qu’il invite chez lui et qui lorgnent sur sa fortune, sans doute l’une des pires appréhensions de Buñuel lui-même !

Tristana, petite sœur en infortune de Viridiana, est bien sûr interprétée par Catherine Deneuve, qui trouve là l’un des plus beaux rôles de sa riche carrière. Plus encore que dans Belle de jour, elle livre une composition extraordinaire, passant de la jeune vierge innocente, victime consentante de son tuteur, à la femme vénéneuse, perverse et fatale.

Les scènes où amputée d’une jambe, elle s’exhibe nue à sa fenêtre devant un adolescent sourd muet ou parcourt inlassablement un couloir avec ses béquilles sont l’expression d’une monstruosité que Deneuve (qui n’est pas blonde dans Tristana, mais rousse) parvient à rendre fascinante et surtout profondément érotique.

Ce n’est pas un hasard si Tristana est le film que l’actrice avait choisi, sans aucune hésitation, pour ouvrir la rétrospective qui lui fut consacrée à la Cinémathèque française il y a quelques années. C’est sans aucun doute la performance dont elle peut se montrer la plus fière, devant la caméra d’un cinéaste aussi génial qu’admiratif.

Ce n’est pas non plus un hasard si Tristana était l’un des films préférés d’Hitchcock, qui aurait sans doute rêver mettre lui aussi en scène une histoire d’amour fou aussi morbide et dévastatrice, en écho à ses propres fantasmes fétichistes et sexuels exprimés dans Sueurs froides ou Pas de printemps pour Marnie.

Rien à voir avec Luis Buñuel mais cette nuit sur ARTE nous vous invitons aussi à découvrir à 0h05 le très beau premier long métrage d’Alessandro Comodin L’Eté de Giacomo (L’estate di Giacomo, 2011) que nous avions présenté au Festival del film Locarno (où il avait été primé) et qui compte parmi les révélations notable du jeune cinéma européen récent. Lire ici notre critique du film.

https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2012/07/03/lete-de-giacomo-dalessandro-comodin/

 

 

 

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