Olivier Père

Cannes 2013 Jour 12 : The Immigrant de James Gray (Sélection officielle – Compétition)

En 1921, deux jeunes sœurs polonaises débarquent à New York. L’une est tuberculeuse et doit rester à Ellis Island en quarantaine. L’autre, Ewa, qui parle bien l’Anglais, se retrouve seule et doit se débrouiller pour survivre. Elle est repérée par un homme, Bruno, qui se propose de l’aider et qui devient son souteneur. Contrainte à la prostitution, Ewa sombre dans le désespoir jusqu’au jour où elle rencontre un magicien, Orlando, qui lui redonne confiance. Mais c’est sans compter sur la jalousie de Bruno, qui est le cousin d’Orlando et lui voue une rancune tenace. Two Lovers le chef-d’oeuvre précédent de Gray était déjà un mélodrame new yorkais et un triangle amoureux impossible : un homme déchiré entre deux femmes. The Immigrant est un mélodrame encore plus douloureux, près d’un siècle plus tôt dans la même ville. Cette fois-ci il s’agit d’une femme partagée entre deux hommes. L’un l’exploite, l’autre veut la sauver, mais les choses ne sont pas aussi simples. Bruno est une âme sombre et torturée, un salaud qui va tomber amoureux de la femme qu’il prostitue et trouver le chemin de la rédemption. Orlando est charmant, mais n’est-il pas un vendeur d’illusions, comme ses spectacles de prestidigitation qui distraient le peuple de sa misère. Ewa oscille entre passivité, abnégation et volonté de survivre à tout prix, avec aussi l’idée fixe de ne jamais abandonner sa sœur. Elle est filmée avec amour et admiration par James Gray, qui remonte aux sources de sa radioscopie économique, politique et romanesque du New York du XXème siècle.

James Gray procède à une épure de son art, et The Immigrant s’apparente souvent à une forme de kammerspiel mâtiné de cinéma muet. Le dernier plan est celui d’un maître.

En effet, le film ressemble à une version minimaliste des modèles récents de fresques historiques comme La Porte du paradis (le triangle amoureux, la lutte des classes), Le Parrain, 2ème partie (l’arrivée à Ellis Island), Il était une fois en Amérique (la pègre new yorkaise) qui comptent depuis Little Odessa et The Yards parmi les références évidentes de Gray.

Mais The Immigrant évoque encore plus les mélodrames muets réalisés à l’époque de son action, et en particulier ceux de Chaplin. Le calvaire d’Ewa rejoint celui des frêles héroïnes du muet obligées d’évoluer dans les bas-fonds de la ville, entre souillure et espoir de trouver le salut. Il faut saluer la qualité de l’interprétation et de la direction d’acteurs. Joachin Phoenix de plus en plus impressionnant, Jeremy Renner nouveau venu excellent dans l’univers de Gray et Marion Cotillard que nous avons trouvé admirable de bout en bout. Cette actrice en plus de posséder un visage à la photogénie exceptionnelle est la plupart du temps bien meilleure que les films dans lesquels elle joue, et ses rôles en anglais (saupoudré de polonais) plus intéressants que ses performances tricolores. Cela se confirme avec The Immigrant, sans aucun doute son plus beau film.

Une fois de plus le quatrième film consécutif de James Gray à être présenté en sélection officielle au Festival de Cannes a été mal reçu, entre déception et scepticisme. Trop triste, trop classique, porté par des émotions monotones… Une fois de plus, il faudra attendre la sortie du film et quelques années pour qu’il acquière, nous n’en doutons pas, le statut de classique.

 

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