Projeté le même jour que le nouveau film du cinéaste chilien, ce documentaire retrace l’aventure de Dune, le gigantesque projet de science-fiction qu’Alejandro Jodorowsky et son producteur Michel Seydoux ne parvinrent jamais à réaliser malgré deux ans de préparation et la réunion des talents les plus originaux des effets spéciaux, de la musique, de la bande dessinée et de l’art, plus la confirmation de Mick Jagger, Orson Welles, Salvador Dali au casting…
Au milieu des années 70 le « space opera » n’est pas un genre cinématographique très répandu ni très commercial ; hormis 2001, l’odyssée de l’espace il n’a pas vraiment engendré d’œuvres ambitieuses ou novatrices.
Alejandro Jodorowsky sort des succès underground de El Topo et La Montagne sacrée : sa mégalomanie, encouragée par Michel Seydoux, l’incite à adapter un best seller ésotérique de la science-fiction, Dune de Frank Herbert, et d’y injecter sa propre démesure baroque, mystique et visionnaire. Dune est un roman messianique, foisonnant, avec de nombreux personnages et des univers propres à enflammer l’imagination délirante de Jodorowsky, tenté par un film qui serait davantage qu’un film : une expérience sensorielle unique, et pourquoi pas une prophétie à l’attention de l’humanité toute entière. Jodorowsky a le bon goût de s’entourer de Jean « Moebius » Giraud pour la direction artistique et de Dan O’Bannon (Dark Star de John Carpenter) pour les effets spéciaux, après s’être mal entendu avec Douglas Trumbull. Les Pink Floyd, le groupe français Magma et l’artiste suisse dément Giger les rejoingnent un peu plus tard. Jodorowsky et Moebius réalisent un volumineux « livre de Dune », story board très précis qui raconte en images, presque plan par plan, avec toutes les indications techniques et de mise en scène au détail près, le film rêvé par son cinéaste visionnaire.
Ce livre, que le documentaire de Frank Pavich et Jodorowsky lui-même dans son appartement parisien nous invitent à feuilleter est magnifique, et laissait présager un grand film de science-fiction qui, en 1975, aurait pu en effet changer la face du genre, trois ans avant que déboule La Guerre des étoiles.
Hélas il manque cinq millions de dollars sur les quinze pressentis et Seydoux fait le tour des studios hollywoodiens pour convaincre les Américains d’entrer dans le projet. Tous seront bluffés par le travail préparatoire, aucun n’osera valider l’aventure en raison de la personnalité trop extravagante de Jodorowski. Cette humiliation freinera le désir de cinéma de Jodorowsky qui recyclera la plupart des idées de Dune dans ses bandes dessinées et en particulier le cycle de L’Incal avec Moebius. Les studios américains ne se priveront pas de piocher dans les trouvailles du « Dune’s book » qui vont alimenter la plupart des gros films de science-fiction à venir comme La Guerre des étoiles ou Flash Gordon, tandis que Moebius, Dan O’Bannon et Giger seront récupérés par Ridley Scott pour concevoir Alien, le huitième passager. Jodorowsky avait ouvert la voie, mais d’autres en profiteront à sa place. Triste pour le cinéaste allumé qui avait ici fait preuve de beaucoup de clairvoyance. La seule consolation de Jodorowsky sera de découvrir dix ans plus tard à quel point le Dune de David Lynch produit par Dino De Laurentiis et sa fille qui rachetèrent les droits du roman est un énorme nanar intersidéral, un truc tellement foiré qu’il en devient fascinant et un bide mondial (sauf en France !)
Documentaire passionnant sur l’un des plus grands films « jamais » réalisés, aux côtés du Napoléon de Kubrick et quelques exemples fameux, Jodorowsky’s Dune est aussi l’histoire de pionniers, aventuriers et guerriers qui partirent à l’assaut de leurs rêves et se heurtèrent à la méfiance du système et de l’argent. Les dessins que nous apercevons de Dune nous interdisent de jurer que le film aurait été un chef-d’œuvre, mais sans aucun doute une création hallucinante et en avance sur son temps, une saga psychédélique, un spectacle qui en aurait mis plein les mirettes.
A ne pas manquer pour tous les amateurs de science-fiction et de Jodorowsky, ce qui fait pas mal de monde.
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