Olivier Père

Quinze Jours ailleurs de Vincente Minnelli

Demain débute avec tambours et trompettes le Festival de Cannes, à la fois célébration des meilleurs cinéastes, artistes et auteurs en activité et grande foire médiatique et commerciale de l’industrie cinématographique mondiale. Le même jour sortira en DVD (chez Wild Side) un chef-d’œuvre consacré à ce que l’on appelait encore l’usine à rêve, ou plus exactement à ses coulisses, et dont le titre correspond aussi à ce que nous nous apprêtons à vivre sur la Croisette : Quinze Jours ailleurs (Two Weeks in Another Town, 1962) de Vincente Minnelli

À partir de la seconde moitié des années 50, durant une décennie, Minnelli exacerbe la dimension romanesque de son cinéma avec de puissants mélodrames, intimistes ou flamboyants, dans lesquels sa mise en scène se révèle plus chorégraphique et picturale quel jamais. La Toile d’araignée, La Vie passionnée de Vincent Van Gogh, Thé et Sympathie, Comme un torrent, Celui par qui le scandale arrive, Les Quatre Cavaliers de l’apocalypse, Quinze Jours ailleurs, Il faut marier papa, Le Chevalier des sables. Cette liste donne le vertige car elle réunit les plus beaux films hollywoodiens de l’époque, signés l’un après l’autre par le même cinéaste.

Kirk Douglas et Cyd Charisse dans Quinze Jours ailleurs

Kirk Douglas et Cyd Charisse dans Quinze Jours ailleurs

Quinze Jours ailleurs fait écho aux Ensorcelés (The Bad and the Beautiful, 1953) autre film de Minnelli sur le cinéma réalisé dix ans plus tôt avec le même acteur, Kirk Douglas. Les Ensorcelés racontait l’histoire d’un producteur ambitieux et passionné à Hollywood (inspiré par Val Lewton), évoqué par ceux qui l’avaient connu et démontrait le talent de Minnelli dans le registre du mélodrame psychologique. À ce classique du cinéma sur le cinéma succède Quinze Jours ailleurs, dans lequel Minnelli décrit l’envers du décor de l’industrie hollywoodienne du début des années 60, délocalisée dans les studios romains de Cinecittà, avec une galerie de stars déchues, de producteurs incompétents et de cinéastes vieillissants.

Kirk Douglas interprète toujours un producteur, mais que l’on retrouve en clinique psychiatrique après une grave dépression et une tentative de suicide, réduit à l’état de loque. Son ami réalisateur, une ancienne gloire de l’âge d’or des studios, lui propose de venir le rejoindre à Rome, où il tourne un film historique comme c’était la mode à l’époque (l’aventure gigantesque et désastreuse du Cléopâtre de Mankiewicz à Cinecittà.) C’est sa dernière chance de rédemption professionnelle, mais il va trouver à Rome une atmosphère de décadence et la réapparition de ses problèmes conjugaux, sombrant à nouveau dans les gouffres de la folie. Le cinéma américain, victime de son artificialité, entre dans une période de déclin, obligé d’exporter ses tournages en Europe. Quinze Jours ailleurs est presque un documentaire impitoyable sur ce moment de crise artistique et économique où Hollywood vacille. Il s’agit de l’un des mélodrames les plus pessimistes du cinéaste, et peut-être, comme me le confiait le cinéaste Benoit Jacquot, le plus beau film jamais réalisé sur le monde du cinéma. La description des fêtes romaines, baroques et morbides, rappelle celle de La dolce vita de Fellini. La suite de la carrière de Minnelli donne à Quinze Jours ailleurs une valeur autobiographique et testamentaire. Victime du déclin du système des studios, Minnelli a de plus en plus de mal à tourner des films, et finira sa carrière en Europe, malade et fatigué, avec un ultime long métrage problématique, Nina (A Matter of Time, 1976).

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