Michael Winner (ici en photo sur le tournage des Collines de la terreur en compagnie de Charles Bronson) est mort hier à l’âge de 77 ans. Sa disparition vient nous rappeler que ce cinéaste, malgré sa mauvaise réputation et une filmographie très inégale, avec une fin de carrière carrément exécrable, a réalisé entre 1971 et 1977 une poignée de films qui mérite l’attention, voire l’admiration, de tous ceux qui s’intéressent au cinéma d’action. Et c’est déjà pas mal. « Faut-il sauver Michael Winner ? » demandions-nous dans un post du 8 octobre 2012 que nous reproduisons ici.
Cinéaste, scénariste et producteur anglais né en 1935 à Londres, Michael Winner s’est exilé aux Etats-Unis au début des années 70 où il a enchaîné les films commerciaux. Ses premiers longs métrages britanniques des années 60, entre comédies, drames et polars n’ont pas laissé de souvenirs impérissables (on doit avouer qu’on ne les a pas – encore – vu, malgré la présence fréquente à leurs génériques du grand Oliver Reed.) Winner traîne une sale réputation de tâcheron réactionnaire grossier et méchant (détesté par plusieurs acteurs et techniciens qui ont travaillé avec lui, comme Richard Jordan ou Jack Cardiff), ou de mercenaire cynique de la pellicule. C’est sans doute vrai, dans une certaine mesure. Mais Un justicier dans la ville, La Sentinelle des maudits ou Le Flingueur méritent pourtant une réhabilitation urgente. Comment un cinéaste réputé infâme par toutes les histoires du cinéma et la critique de l’époque a-t-il pu enchaîner entre 1971 et 1977 une série de films remarquables et qui ont été depuis réhabilités par une certaine frange de la cinéphilie internationale ?
Magnifiquement interprété par un Burt Lancaster vieillissant, entouré d’une distribution prestigieuse (Lee J. Cobb, Robert Ryan, Robert Duvall) L’Homme de la loi (Lawman, 1971) est le premier de ces films remarquables. C’est aussi le premier film hollywoodien produit et réalisé par Winner, pour la MGM. C’est un western (genre américain par excellence, rarement mis en scène par des Anglais) qui dresse le portrait d’un shérif impassible dont l’obsession pour la justice et le respect de la loi et l’ordre vire à une forme de pathologie proche de la vengeance personnelle. Il est aussi violent et cinglé que la horde de truands qui se dresse contre lui. Le second western de Winner est écrit par le même scénariste, son compatriote Gerald Wilson qu’on retrouvera au générique de Scorpio, Le Cercle noir et Firepower. Dans Les Collines de la terreur (Chato’s Land, 1972), tourné en Espagne, Charles Bronson plus taiseux que jamais incarne un métis Apache qui exécute un à un grâce à l’art de la guerre indien et sa parfaite connaissance de la nature sauvage les vigiles venus l’arrêter pour un crime commis en état de légitime défense (il a abattu un shérif qui le provoquait.) Là encore la frontière entre justice et vengeance est brouillée, dans un film particulièrement nihiliste et cruel. Les Blancs sont montrés comme des racistes dégénérés tandis que le héros indien, refusant le statut de victime ou d’opprimé, se comporte en véritable tueur de sang froid, prenant vraisemblablement du plaisir à ce jeu de massacre qu’il maîtrise à la perfection. Des scènes de violence dignes du cinéma d’horreur « gore » rapprochent le film des excès du western italien qui vivait ses dernières heures de gloire. Il s’agit de la première collaboration entre Bronson et Winner qui deviendra l’un des cinéastes attitrés de l’acteur.
Entretemps, Winner a signé en Grande-Bretagne l’étrange Corrupteur (The Nightcomers, 1971) qui s’inspire du Tour d’écrou d’Henry James dont il reprend les personnages pour raconter les événements précédant le début du roman, porté à l’écran en 1961 par Jack Clayton dans Les Innocents (The Innocents), classique du cinéma fantastique avec Deborah Kerr. Voilà une démarche originale et même sans équivalent (inventer la « prequel » d’un roman et d’un film avec une équipe artistique et technique complètement différente de l’œuvre préexistante, en adoptant un style, des partis-pris narratifs et visuels opposés.) Dix ans ont passé entre les deux films, qui correspondent à la fin de l’âge classique et au début d’une forme maniériste dégradée. Le film de Clayton, modèle d’histoire de fantômes, d’enfance maléfique et de maison hantée reposait presqu’entièrement sur un art de la litote, sorte de précurseur britannique, littéraire et psychologique de La Maison du diable (The Haunting) de Robert Wise réalisé deux ans plus tard. Le secret des enfants découvert par leur nouvelle gouvernante était un drame sexuel scabreux et meurtrier survenu avant l’arrivée de cette dernière. Alors que tout n’était que suggestion dans le film de Clayton (fidèle à l’esprit et à la lettre de James), Winner décide de mettre en images les évènements choquants qui conduisirent à la mort d’Emily Jessel et de son amant brutal et dominateur, le garde chasse Peter Quint. Les fantômes des Innocents sont dans Le Corrupteur des êtres de chair et de sang qui se livrent à la débauche et à des relations sadomasochistes, prétextes à des scènes de sexe très explicites pour l’époque. D’autant plus que Quint est interprété par un Marlon Brando plus viril, animal et érotique que jamais, en pleine répétition de son rôle mythique dans Le Dernier Tango à Paris un an plus tard. Brando nu, Brando ligotant et violant la pauvre institutrice Miss Jessel bientôt consentante… Voilà un film qui n’a pas froid aux yeux, mêlant érotisme, sadisme et fantastique (tout cela sous les regards d’un petit garçon et d’une petite fille) avec une audace encore payante aujourd’hui. Il n’est pas interdit de comparer Le Corrupteur avec un autre film réalisé la même année, Les Chiens de paille de Sam Peckinpah qui propulsait lui aussi une star hollywoodienne (Dustin Hoffman) dans un univers malsain et européen (les deux films ont le même compositeur, le grand Jerry Fielding.) Même succès de scandale, mêmes accusations de pornographie et de violence outrancière. Si Le Corrupteur de Winner n’est pas aussi exceptionnel que le chef-d’œuvre de Peckinpah, le cabotinage hallucinant de Brando (avec son inimitable mauvais accent anglais) et les charmes complaisamment dévoilés de la starlette Stefanie Beacham achèvent d’en faire un véritable régal pour cinéphiles pervers.
Plus sérieusement, Le Flingueur (The Mechanic, 1972) est peut-être le meilleur film de Winner et compte parmi les thrillers les plus importants de la décennie. Pourquoi ? Parce que ce film enterre le code d’honneur propre aux gangsters et autres hors-la-loi pour saluer la naissance d’un monde cynique, sans valeurs ni morale, déshumanisé. Sans porter lui même de jugement moral ou condamner cet état de fait, ce qui peut en faire un film fasciste. Comme le titre original l’indique, Bronson est une « mécanique », une machine sans affects ni sentiments qui accomplit à la perfection son métier, avec l’argent comme seule motivation. Comme l’Indien Chato, Bishop est passé maître dans l’art de tuer et il accomplit chaque contrat avec un perfectionnisme, une imagination et une froideur imparables qui confinent au génie. Un génie maléfique cela va sans dire. Mais Le Flingueur est aussi le récit d’un dérèglement. Comme toutes les machines Bishop n’est pas à l’abri d’une panne. Il est victime de malaises et comprend que sa fin est proche. C’est la peur de la maladie qui va le pousser à choisir et à former un jeune disciple, encore plus amoral et cynique que lui (Jan Michael Vincent). Cette rencontre va précipiter sa chute, d’une manière aussi imprévisible que logique. Grande fiction comportementaliste (les quinze première minutes, qui montrent comment Bishop exécute un contrat, sont dénuées du moindre dialogue) Le Flingueur est aussi une fable sur la trahison et la transmission impossible. No future.
Scorpio (1973) un an après Le Flingueur reprend l’idée du couple masculin maître et élève, du binôme qui ne représente en fait qu’un seul et même homme à deux âges différents de sa vie (sans oublier le sous texte homosexuel), avec le thème de la trahison et de l’amitié pervertie. Cette fois-ci nous ne sommes plus dans l’univers du film noir mais celui du film d’espionnage, avec sa galerie d’agents infiltrés, tueurs et agents double sur fond de guerre froide. Cet excellent thriller repose sur l’affrontement de deux acteurs racés qui s’étaient déjà rencontrés sur Le Guépard de Visconti : Burt Lancaster et Alain Delon dont le personnage de tueur solitaire surnommé Scorpio renvoie à un autre rôle iconique de l’acteur : Le Samouraï de Jean-Pierre Melville. Au lieu de l’oiseau dans l’appartement vide c’est un chat qui tient lieu de seul compagnon à Scorpio, qui connaîtra le même destin que Jeff Costello. Faussement conventionnel, Scorpio se hisse ainsi au-dessus de la production commerciale anonyme en multipliant les allusions à la carrière de ses deux stars. Le pessimisme et le nihilisme deviennent la marque de fabrique de Winner, même si c’est aussi dans l’air du temps et si cela s’applique aussi à un cinéaste plus important comme Sam Peckinpah.
Un justicier dans la ville (Death Wish, 1974) est le plat de résistance de la filmographie de Michael Winner et de la collaboration entre Bronson et le réalisateur. C’est à la fois le plus gros succès commercial des deux hommes, un titre emblématique des années 70, et l’objet de toutes les controverses, polémiques et malentendus. Cette histoire d’un architecte new yorkais se transformant en « vigilante » après l’agression brutale de sa femme et de sa fille par des voyous est rapidement devenu le prototype du film d’autodéfense, sous-genre du thriller urbain mettant en scène de simples citoyens prenant les armes pour palier au laxisme de la justice et à la complaisance ou l’inefficacité de la police. Le thème de la vengeance et de la justice personnelle irrigue le cinéma américain et en particulier le western. Un justicier dans la ville relance le débat dans un climat d’insécurité et de violence dans les grandes villes propre aux années 70, qui explique l’écho important que rencontrera le film à sortie. Taxé de fasciste dès sa sortie (comme L’Inspecteur Harry ou Voyage au bout de l’enfer) en raison de son sujet et de la personnalité de Bronson (une brute) et de Winner (un provocateur), le film est pourtant plus ambigu que cela. Le scénario, signé Wendell Mayes (Autopsie d’un meurtre, Tempête à Washington, pas vraiment des films manichéens ni réactionnaires) imagine un personnage de bourgeois de gauche d’abord allergique à la violence (ancien objecteur de conscience, il vomit après sa première excursion punitive) qui se transforme progressivement en tueur et y prend goût. Loin du héros érigé en exemple par les médias et l’opinion publique à l’intérieur du film, Paul Kersey est une sorte de psychopathe dont la croisade anti délinquance est pervertie par la « pulsion de mort » évoquée par le titre original. Sans doute que le film aurait gagné en crédibilité et en subtilité avec un acteur moins viril et moins associé à des personnages de « flingueur » comme Bronson, qui manifesta en outre une solidarité immédiate avec le projet de Paul Kersey, n’hésitant pas à avouer qu’il aurait aimé faire la même chose que lui (buter des voyous.) Un écueil qu’évitera Peckinpah en confiant le rôle principal des Chiens de paille à un acteur chétif et de petite taille, Dustin Hoffman. Il n’empêche qu’Un justicier dans la ville, même s’il n’évite pas une certaine complaisance dans les scènes de violence (Winner est sans conteste un cinéaste sadique) demeure un modèle du polar urbain poisseux et dépressif qui a connu quatre suites (ridicules) et de nombreuses imitations, tant aux Etats-Unis qu’en Europe.
De sadisme, de voyeurisme et de complaisance il est en aussi question dans La Sentinelle des maudits (The Sentinel, 1977), le dernier très bon film de Winner et son incursion remarquée dans le cinéma horrifique. Un jeune modèle dépressif et suicidaire, nouvellement fiancé à un séduisant avocat, s’installe dans un vieil immeuble de New York dont le dernier étage est occupé par un prêtre aveugle. D’étranges phénomènes se produisent dans la maison, propriété du diocèse. Mélange de film de maison hantée, de superstition catholique et de complot diabolique La Sentinelle des maudits fut sans aucun doute réalisé afin de profiter de l’engouement du public pour les films d’horreur à connotation religieuse après les triomphes de L’Exorciste et de La Malédiction produits et distribués par des studios hollywoodiens et contenant des scènes choquantes qui n’auraient jamais franchies le stade de l’autocensure quelques années auparavant. En « Monsieur Plus » du cinéma commercial Winner va encore plus loin que ses collègues et dépasse les limites de la bienséance avec un film qui mêle à une histoire terrifiante, proche de Rosemary’s Baby, des scènes et des détails profondément malsains et dérangeants. Par ses excès, La Sentinelle des maudits rejoint les films gore et illogiques de Lucio Fulci consacré aux portes de l’enfer, Frayeurs et L’Au-delà. J’ai découvert le film une nuit à la télévision dans les années 80, j’ai eu la peur de ma vie (avec Inferno d’Argento vu pour la première fois à une séance de minuit au cinéma.) La Sentinelle des maudits fait partie de ces rares films qui fichent vraiment la trouille et savent créer le malaise même chez les spectateurs blasés et les amateurs les plus endurcis. Pour cela, Winner est prêt à tout : les maquillages répugnants de Dick Smith (L’Exorciste), sa frêle héroïne harcelée par des traumatismes d’enfance et des apparitions nocturnes terrifiantes, et surtout quelque chose d’impensable dans un gros film de studio (La Sentinelle des maudits est produit par Universal) : le recours à des vrais « freaks », hommes et femmes victimes d’anomalies physiques spectaculaires exhibés à moitié nus dans la scène finale dantesque et qui interprètent des damnés échappés de l’enfer. Tandis que Tod Browning faisait jouer des êtres difformes ou handicapés dans son chef-d’œuvre Freaks, la monstrueuses parade pour en montrer la douloureuse et bouleversante humanité, Winner utilise la laideur de figurants atteints des mêmes maladies ou mutilations pour incarner des spectres encore plus repoussants que les zombies de Fulci. Il en résulte des visions réellement infernales, à vous glacer le sang, mais qui provoquent un malaise à la fois physique et moral. Autre particularité de ce film qui compte parmi les plus malsains réalisés : il dispose d’un casting hallucinant digne des plus prestigieuses productions catastrophe comme La Tour infernale ou Airport. Au générique de La Sentinelle des maudits se bousculent, parfois dans des rôles microscopiques, Chris Sarandon, Cristina Raines, Martin Balsam, John Carradine, José Ferrer, Ava Gardner, Arthur Kennedy, Burgess Meredith, Eli Wallach, Beverly d’Angelo (en lesbienne muette avec une scène de masturbation inoubliable), Christopher Walken, Tom Berenger, Jeff Goldblum et même Richard Dreyfuss dans un caméo. Un vrai film de malade.
Durant la même période Winner signe aussi deux films commerciaux moins ou pas du tout réussis : Le Cercle noir (The Stone Killer, 1973) un polar anti mafia produit par Dino De Laurentiis avec Charles Bronson en deçà de ce que l’on pouvait attendre de la réunion des trois hommes et Won Ton Ton : The Dog Who Saved Hollywood, une biographie filmée de Rintintin qui consterna les rares spectateurs qui eurent l’idée bizarre d’aller la voir.
Après 1977 c’est la dégringolade progressive et du grand n’importe quoi : un remake poussif et inutile du Grand Sommeil avec Robert Mitchum dans le rôle de Marlowe, inférieur à Adieu ma jolie de Dick Richards et qui ne vaut que pour sa prestigieuse distribution, un nanar d’aventures avec James Coburn et Sophia Loren L’Arme au poing (Firepower, 1979), et les impayables deux premières suites de Death Wish lorsque la franchise passe des mains de De Laurentiis à celles de Golan et Globus pour la Cannon, qui devient le principal employeur de Winner à partir de 1982. Le Justicier de New York (Death Wish 3, 1985) bénéficie d’une notoriété particulière chez les amateurs de débilités cinématographiques qui en apprécient l’humour involontaire et l’emphase destructrice, véritable excroissance burlesque et monstrueuse de la franchise qui a vite sombré dans l’auto caricature. Bronson pulvérise une centaine de voyous à la mitrailleuse pour qu’un quartier de Brooklyn retrouve sa tranquillité. Jetons un voile pudique sur tous les derniers films de Winner réalisés avant sa retraite. Conclusion : une fin de carrière lamentable n’enlève rien aux qualités de ses films des années 70, même si l’on peut juger ces qualités négatives (nihilisme, chaos, violence et désespoir.) Des films au-delà du Bien et du Mal, ou plutôt du côté du Mal. Michael Winner s’était reconverti avec succès depuis plusieurs années dans la critique gastronomique dans les colonnes du Sunday Times et dans des livres.
Michael Winner fait tuer sans gène les chevaux et d’autres animaux dans ses films. C’est cruel et sadique de sa part.
C’est purement gratuit et maladif.