Olivier Père

Le Fleuve de Jean Renoir

C’est Le Fleuve (The River, 1951) de Jean Renoir qui fut le premier film projeté sur l’écran de la salle Henri Langlois lors de l’inauguration de la Cinémathèque française à Bercy. Martin Scorsese avait présenté la séance, il y avait de nombreux cinéastes du monde entier dans la salle. L’émotion était palpable. Je m’en souviens, j’y étais. Mercredi 5 décembre Le Fleuve est ressorti en salles et en version restaurée grâce à Carlotta. Un Blu-ray d’excellente qualité est déjà disponible chez le même éditeur et distributeur. L’occasion de revoir l’un des films (en Technicolor) les plus sublimes jamais réalisés, mis en scène par l’un des plus grands cinéastes de l’histoire du cinéma.

Par un heureux hasard de calendrier Le Fleuve est distribué en salles le même jour que Tabou de Miguel Gomes (qui a trouvé son public dès les premières séances de son exploitation commerciale, excellente nouvelle.)

Les deux films, au-delà de leur beauté, partagent plusieurs points communs : l’exotisme, l’évocation de souvenirs enfouis, et le mélodrame. Le bovarysme aussi, avec dans Le Fleuve de magnifiques portraits de jeunes femmes qui quittent l’adolescence, expérimentent l’ennui provincial (ici l’ennui colonial) et découvrent en même temps que l’attrait des hommes la société, cruelle et hypocrite, des adultes. Et plus profondément il y a chez Renoir et Gomes une conception voisine du cinéma et de la manière de faire des films, une vision cosmique de la vie, de l’amour et la mort. Production américaine tournée en Inde par un cinéaste français, d’après un roman et avec des interprètes anglais, Le Fleuve est sans doute le sommet de l’œuvre de Renoir, le film où s’exprime avec le plus de sérénité et d’universalité sa philosophie de la vie, au-delà du simple choc des cultures.

De Boudu sauvé des eaux au Déjeuner sur l’herbe et passant par Partie de campagne, Renoir a toujours associé le motif aquatique à celui du destin. Les êtres humains sont selon sa fameuse formule des bouchons charriés au gré du courant.

Dans Le Fleuve, film d’une richesse et d’une profondeur inouïes, on retiendra surtout l’acceptation de la mort, même sous sa forme la plus scandaleuse – celle d’un enfant – comme partie intégrante de la vie. Cette sagesse, Renoir la devra pour une grande part à sa découverte fascinée de l’Inde, sans négliger l’importance du roman de Rumer Godden dont est adapté le film. La biographie remarquable de Pascal Mérigeau nous confirme que Renoir a souvent dit tout et son contraire sur son travail et celui des autres, mais cette citation du cinéaste définit parfaitement la force et l’évidence de ce film génial :

« Le Fleuve qui semble être un de mes films les plus apprêtés, est en réalité le plus proche de la nature. S’il n’y avait une histoire basée sur des forces immuables, l’enfance, l’amour, la mort, ce serait un documentaire. »

 

 

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