Nous avons appris hier la disparition de José Benazeraf à l’âge de 90 ans. La mort de José Benazeraf sonne le glas de toute une époque, et de tout un pan de l’histoire du cinéma commercial hexagonal, lorsque dans les années 60 puis 70 les polars ou mélos à petits budgets s’encanaillaient et passaient du sexy au porno avant de disparaître corps et bien.
Au-dessus des tacherons au talent volatile mais qui possédaient parfois leurs défenseurs trônait José Benazeraf, surnommé « l’Antonioni de Pigalle », le séducteur aux mauvaises manières mais ivre de beauté et de culture qui répandit dans les années 60 une traînée de soufre dans les cinémas des Grands Boulevards, grâce à des films hautains qui mêlaient intellectualisme Nouvelle Vague, subversion et érotomanie. José Bénazéraf est né à Casablanca, puis monte à Paris où il entre à l’Institut d’études politiques de Paris. Il débute sa carrière comme producteur et participe au tournage d’À bout de souffle. Il passe à la mise en scène avec L’Eternité pour nous (1962) et Le Concerto de la peur (1963) qui seront aussi exploités sous les titres plus racoleurs Le Cri de la chair et La Drogue du vice. Des bandes jazzy en noir et blanc, avec de vagues intrigues policières ou d’espionnage et l’apparition de corps jeunes et modernes en rupture avec le cinéma traditionnel. Cover Girls son film le plus élégant et le mieux mis en scène est salué dans Les Cahiers du cinéma. Benazeraf subit les foudres de la censure avec Joë Caligula (1966), un hommage au cinéma criminel américain qui est un polar proto-punk jugé trop violent et dont le rôle-titre est tenu par une autre tête brûlée, le fougueux Gérard Blain. Avec Le Désirable et le Sublime (1970) Benazeraf a l’ambition de radicaliser sa démarche et livre un prétentieux pamphlet aussi fumeux qu’insupportable. Toujours en colère, éternel révolté, ne supportant pas le conformisme bourgeois et la société conservatrice française, le cinéaste se marginalise en bâclant une quantité impressionnante de pornos, en 35mm puis en vidéo. Au milieu d’une production indigne et misogyne on retrouve parfois l’insolence et le goût du formalisme de Benazeraf, comme dans J.B. 1(1975), essai expérimental dans lequel le cinéaste se filme au travail. Bien que totalement en retrait par rapport à l’orgueil du personnage, les premiers films de Benazeraf sont l’affirmation d’un dandysme et d’un talent qui s’épuiseront par la suite dans l’anonymat de la production pornographique, malgré l’obstination de certain de ses exégètes à considérer Benazeraf comme un génie underground. Qu’importe. Celui qui aimait citer Nietzsche et discuter philo avec Zara White a marqué de son sceau le cinéma érotique français, et ses films des années 60 laisseront la trace d’une éphémère étreinte entre la série B libertaire et la prude Nouvelle Vague.
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