Olivier Père

La Nuit américaine de Fritz Lang

C’est sous ce beau titre que Wild Side édite en DVD les deux derniers films américains de Fritz Lang accompagnés d’un livre érudit très bien illustré et très bien écrit de Bernard Eisenschitz, l’un des meilleurs spécialistes du cinéaste.

Fritz Lang réalise la même année (1956) deux ultimes films aux Etats-Unis, absolument géniaux, avant son retour en Allemagne, mais qui ne sont pas considérés à leur juste valeur au moment de leur sortie : La Cinquième Victime (While the City Sleeps) et L’Invraisemblable Vérité (Beyond A Reasonable Doubt). Fritz Lang s’intéressa tout au long de son œuvre à l’arbitraire du Destin et à la psychologie criminelle. Il a souvent montré dans ses films, de M le maudit à La Cinquième Victime, que les assassins sont aussi pathétiques que leurs victimes, captifs et esclaves de leurs pulsions ou de l’engrenage social.

Lang a signé en Allemagne avant son exil hollywoodien M le maudit, considéré à juste titre comme un film matriciel, analysant la psychologie d’un criminel dans un contexte social et historique bien précis (la montée du national-socialisme et l’association de la pègre berlinoise avec les Nazis.) La Cinquième Victime est une nouvelle histoire de tueur en série – quand cette terminologie n’avait pas encore été adoptée – cette fois-ci dans la société consumériste américaine, que Lang juge et observe avec froideur.
Mais Lang cette fois-ci s’intéresse moins au criminel – un tueur de femmes impuissant qui laisse des messages écrits au rouge à lèvre sur les scènes de meurtres – qu’aux journalistes chargés de couvrir l’affaire. La traque du meurtrier devient en effet un défi lancé par un magnat de la presse à ses journalistes, qui ne vont pas hésiter à transgresser toutes les règles de déontologie pour parvenir à leurs fins. Lang adopte un ton satirique et fustige le cynisme des médias voulant exploiter une affaire criminelle. Les scènes avec le tueur psychopathe, avec ses gants noirs et sa silhouette de jeune Américain banal annonce tout un pan du cinéma d’horreur moderne bâti autour de la figure du « serial killer. »

L’Invraisemblable Vérité se déroule aussi dans le monde de la presse, avec l’excellent Dana Andrews de nouveau interprète principal de ce conte moral d’une extrême noirceur qui prend le sujet de la peine de mort comme prétexte pour démontrer que « tous les hommes sont coupables ». Farouche adversaire de la peine capitale, le rédacteur en chef d’un grand quotidien échafaude un plan parfait pour démontrer qu’aucune condamnation à mort ne peut se soustraire au risque de l’erreur judiciaire. Rien ne se passera comme prévu… Sur le fond La Cinquième Victime et L’Invraisemblable Vérité ne sont pas très éloignés de M le maudit ou du Testament du docteur Mabuse, mais dans ces deux films jumeaux le style de Fritz Lang est devenu plus épuré, d’une froideur clinique, et son regard sur l’humanité encore plus pessimiste.

On signalera que Jess Franco a reproduit en hommage à Fritz Lang une scène pivot de L’Invraisemblable Vérité dans une extravagante série B de prisons de femmes produite en Suisse, Le Pénitencier des femmes perverses (Greta – Haus ohne Männer, 1977). C’est suffisamment méconnu pour être noté. Lang à la fin de sa vie n’avait pas caché son admiration pour Succubus (Necronomicon, 1968) du même Franco. Comme quoi la cinéphilie n’a pas de frontières…

A l’instar d’autres films des années 50 La Cinquième Victime et L’Invraisemblable Vérité ont été tournés au format 1.33 et distribués en salles au format 2.00 (écran large). Grâce à cette édition indispensable on pourra comparer les deux versions.

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