Olivier Père

La Rage du tigre de Chang Cheh

La Rage du tigre (1971)

La Rage du tigre (1971)

Dans la Chine féodale, Lei Li, un justicier tout de blanc vêtu prend la défense des faibles et des opprimés contre les seigneurs de guerre sanguinaires et leurs sbires. Son chemin croise le cruel Maître Long, qui parvient à le vaincre par traîtrise lors d’un combat singulier. Piégé par un serment donné devant témoin, Lei Li se tranche le bras droit et renonce au métier des armes. Devenu serviteur dans une auberge, il subit sans broncher toutes les humiliations, jusqu’au jour où un autre sabreur héroïque, le séduisant Feng, arrive dans la région et devient son ami.

Chang Cheh (1924-2002) fut l’un des plus prolifiques et flamboyants cinéastes des studios Shaw Bros. Son goût pour la violence et les récits de vengeance a entaché son travail d’une réputation d’artiste mécréant et de mercenaire, tout en encourageant un véritable culte autour de son œuvre. Chang Cheh se plaisait à entretenir cette mauvaise image en se définissant lui-même comme « un marchand de violence ». Comparable à Sam Peckinpah aux États-Unis ou Sergio Corbucci en Europe, Chang Cheh se distingue des autres grands cinéastes du « wu xia pian » (film de cape et d’épée chinois). King Hu privilégie l’esthétisme et la philosophie et Liu Chia-liang les chorégraphies martiales tandis que Chang Cheh donne libre cours à ses obsessions sadiques et un homo érotisme qui s’incarne dans des histoires d’amitié virile. Chang Cheh s’entoure de jeunes acteurs éphèbes à la beauté froide qu’il utilise de films en films (le fameux couple formé par David Chiang et Ti Lung, sans doute à son zénith dans La Rage du tigre). Il invente un fétichisme de l’arme blanche et abuse des métaphores sexuelles organiques comme l’amputation des membres ou les jets de sang. Chang Cheh a beaucoup tourné et parfois trop tourné, mais on retient dans sa filmographie une dizaine de titres qui comptent parmi les chefs-d’œuvre du « wu xia pian » ou du film de kung-fu. À partir de 1967 Chang Cheh signe trois différentes versions des exploits du sabreur manchot, figure légendaire de la culture chinoise, qui rencontrent toutes un succès fabuleux. Grâce à Un seul bras les tua tous (One-armed Swordsman, 1967) Jimmy Wang Yu dans le rôle-titre accède au rang de vedette du cinéma d’arts martiaux. Le film connaît une suite, Le Bras de la vengeance (The Return of the One-armed Swordsman, 1968) avec le même acteur. La Rage du tigre (The New One-armed Swordsman / Xin du bi dao, 1971), trois ans plus tard, est le remake paroxystique du premier film dans lequel Chang Cheh et son scénariste transgressent certaines lois du genre qu’ils ont eux-mêmes érigées. Exit Wang Yu, fâché avec la Shaw Brothers, remplacé avantageusement par David Chiang. Le film supprime les récits de complots de palais ainsi que l’histoire d’amour et la relation complexe avec les femmes au cœur du titre original pour se concentrer sur les trois thèmes cruciaux du cinéma de Chang Cheh : la vengeance, la violence et l’homosexualité, en faisant fi du reste. Dans ce film symptôme le cinéaste décline ses obsessions en une série de moments inoubliables et de morceaux de bravoure (la mort de Ti Lung, coupé en deux, ou l’assaut final dans lequel le héros anéantit à lui seul une armée sur le pont d’une forteresse). Célèbre dans le monde entier pour sa cruauté et sa démesure La Rage du tigre est l’un des plus grands classiques du film de sabre chinois mais il exprime surtout la quintessence du cinéma de Chang Cheh, pour ne pas dire sa folie. En 1995 un autre grand cinéaste livrera sa version des exploits du sabreur manchot avec un nouveau remake d’Un seul bras les tua tous : The Blade (Dao) de Tsui Hark, pur chef-d’œuvre

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