Olivier Père

La Cible de Peter Bogdanovich

Première réalisation du cinéaste cinéphile Peter Bogdanovich, alors au service de Roger Corman comme assistant et scénariste, La Cible (Targets, 1967) dépasse en ambition et en originalité les films à petits budgets produits par le pape du cinéma d’exploitation américain. Sommé de livrer en un temps record une série B avec Boris Karloff, en incluant des extraits de The Terror de Corman, Bogdanovich a l’idée géniale de tourner deux films en un, sur le thème de la violence et du cinéma. Il oppose au cinéma d’épouvante gothique, à bout de souffle comme son interprète, l’horreur documentaire des tueurs en série. Karloff joue un acteur à l’âge canonique, vestige de l’Hollywood des années 30 réduit à jouer les monstres dans des navets, tandis qu’un jeune Américain fanatique d’armes à feu abat froidement sa famille modèle puis tue avec un fusil à lunette des automobilistes et des spectateurs d’un drive-in.

Secrètement aidé par son ami Samuel Fuller, qui lui souffla l’idée, Bogdanovich signe l’un des premiers films modernes du cinéma américain, petit chef-d’œuvre prophétique bien plus terrifiant que Scream et Bowling for Columbine réunis.

La carrière de Bogdanovich se poursuivra avec quelques-uns des plus gros succès critiques et commerciaux des années 70 aux Etats-Unis (La Dernière Séance, On s’fait la valise, Doc?, Paper Moon) qui monteront un peu à la tête du jeune cinéaste, admirateur du cinéma américain classique qui se prend alors pour les nouveaux Welles, Ford Lubitsch et Hawks réunis, encouragé par une presse américaine très complaisante et même délirante. Il est vrai que Bogdanovich fut le premier à s’intéresser en tant que critique et cinéphile aux grands cinéastes de l’âge d’or hollywoodien, et il les a presque tous rencontré et leur a consacré des livres d’entretiens qui demeurent des références (sur Fritz Lang période américaine, Dwan, etc.) Leone pense un temps à lui pour réaliser Il était une fois… la révolution mais l’incompréhension est grande entre les deux hommes et Bogdanovich rentre vite aux Etats-Unis. Après ces films très surestimés, Bogdanovich réalisera de graves échecs publics qui sont sans doute plus intéressants, comme Daisy Miller (1974) et surtout Enfin l’amour, comédie musicale qui est un tel fiasco qu’elle met un terme en 1975 au bref état de grâce de Bogdanovich à Hollywood, et anticipe les problèmes que rencontreront Scorsese, Cimino, Friedkin et Coppola quelques années plus tard.

En 1979 Bogdanovich tourne à Singapour (en grande partie dans l’hotel appartenant toujours à la famille d’Eric Khoo !) l’excellent Jack le magnifique (Saint Jack), en rupture avec ses films précédents puisque ce film d’aventures sans aventure avec Ben Gazzara, produit de nouveau par Roger Corman et Pierre Cottrell s’apparente à un étrange mélange de série B, de John Cassavetes et de cinéma d’auteur européen.

Et tout le monde riait… (They All Laughed, 1981) à l’ambition cette fois-ci renoirienne, est l’un des films préférés de Quentin Tarantino. Bodganovich continue ensuite sa carrière au cinéma et la télévision, comme réalisateur et aussi comme acteur, mais dans l’indifférence générale, même si la nouvelle génération des jeunes cinéastes américains le cite souvent comme une référence, ou du moins comme un vieil oncle bienveillant.

Bogdanovich tient aussi un blog cinéphile dédié au cinéma américain classique et accueilli par Indiewire

http://blogs.indiewire.com/peterbogdanovich/tag/picture-of-the-week

Catégories : Actualités

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