Olivier Père

Demonlover de Olivier Assayas

Pour exprimer tout le bien que l’on pense d’Olivier Assayas, l’homme, le cinéaste, le cinéphile. Sa trajectoire est admirable et atypique dans le cinéma contemporain. Il est à la fois le plus français des auteurs et le plus international des cinéastes, héritier de Renoir, découvreur du cinéma de Hong Kong et de Taiwan, frère d’Edward Yang et de Hou Hsiao-hsien, cousin de Cronenberg, Soderbergh et Tarantino…

A l’heure (d’été) où va bientôt rayonner à Venise son nouveau film Après mai, magnifique profession de foi d’un cinéaste qui nous explique d’où il vient (la politique, l’art, la musique) dans un nouveau chapitre – conclusif ? – sur l’héritage post-68, après Carlos et son essai littéraire sur son adolescence et l’influence de Guy Debord.

L’œuvre à première vue hétéroclite, curieuse et ouverte d’Olivier Assayas creuse pourtant film après film le même sillon (mot qui sonne juste pour cet amoureux des disques et de la musique) : celui de l’héritage, familial, politique ou culturel, parfois heureux, souvent problématique et perverti, de Désordre à L’Heure d’été, des Destinées sentimentales à CarlosDemonlover (2004) est son film le plus effrayant et le plus pessimiste car il dresse sur un mode cauchemardesque le constat d’un univers où les images seraient justement dépourvues d’histoire, d’héritage moral, et où la transmission serait vécue comme une contamination, une malédiction. Demonlover ne cache pas sa dette envers le prophétique Videodrome, il en prolonge le discours apocalyptique. Mais vingt ans plus tard la science-fiction délirante et paranoïaque de Cronenberg est devenue le scénario d’un thriller High Tech et hyperréaliste d’Assayas.

Diane, une jeune femme qui travaille dans une multinationale est en fait une espionne industrielle à la solde d’une société rivale, qui convoite un marché juteux, l’exclusivité de la diffusion de programmes érotiques japonais sur Internet, Mangatronics et Demonlover. Diane découvre que ses collègues sont également des espions infiltrés.

De la même façon qu’Irma Vep citait les feuilletons de Feuillade, Demonlover est un serial moderne, une nouvelle aventure hitchocko-langienne dans laquelle Marnie fricote avec le docteur Mabuse. Diane évoque en effet la pie voleuse de Hitchcock, alors que les décors interchangeables d’hôtels et d’aéroport, les écrans de contrôle et les trafics d’images et de vies prolongent le pessimisme hautain des derniers films de Lang. Assayas navigue dans les eaux troubles de la cyberculture, de la pornographie sur Internet et des spéculations autour de l’existence des « snuff movies ». Demonlover séduit par l’élégance de sa mise en scène, de ses images de haute couture, mises en son par Sonic Youth, avec pour mannequins modèles trois des plus belles actrices du début des années 2000, Connie Nielsen, Chloë Sevigny, Gina Gershon. Plus de nouvelles hélas de la belle Connie, après ses remarquables prestations coup sur coup chez Assayas, Scott, De Palma, Friedkin et McTiernan, excusez du peu. La pulpeuse Gina vient de faire sa réapparition dans la nouvelle folie de Friedkin, Killer Joe, où elle donne beaucoup de sa personne et se fait malmener oralement par de la junk food détournée de sa fonction nutritive (comprenne qui verra). Quant à Chloé, elle est mieux qu’une icône ou qu’un it girl, une actrice qui ne demande qu’à être regardée et dirigée, ce que fait Assayas très bien. Toutes trois, avec une mention particulière pour Connie Nielsen, impressionnante, rivalisent de beauté et de talent, mais aussi de branchitude glamour. Assayas filme la déréalisation du monde, les flux et les réseaux d’images et de pouvoir, observe d’obscures transactions. Cinéaste de la contemporanéité, à l’affût des modes et des métamorphoses du cinéma, Assayas se plonge en même temps que le spectateur dans un univers angoissant et factice. Son goût pour le cinéma expérimental des années 60 se heurte aux nouvelles formes visuelles, privées de morale et bientôt de beauté : les images des mangas et de la cyberculture, mais aussi les scènes de pornographie et de meurtres. Demonlover dessine le parallèle entre le commerce des images sexuelles et froides de Demonlover et la frigidité de son héroïne, qui cherche dans le pouvoir et la manipulation un substitut à son épanouissement charnel. Dans ce film où les femmes sont désirables mais imprenables, la seule scène de sexe, un coït brutal et maladroit, renvoie au néant le futur des relations humaines relayées par des images nocives de substitution. Le cinéma d’Assayas, à la fois fasciné et dégoûté par ce qu’il regarde, refuse de se laisser aller à la séduction du visuel. Sur un terrain glissant, proche des productions de Besson, Assayas assume son puritanisme de cinéaste, disciple de Bresson et d’Antonioni. Ce qui vaut pour les images vaut aussi pour l’argent, et l’étalage de luxe et de pouvoir résonne comme une condamnation sans appel du capitalisme.

Certes le film enfonce un peu le clou de son discours et sa forme se perd dans un système de rhizomes plus filandreux que labyrinthique. Mais le film ose aller jusqu’au bout de ses idées, vers une conclusion terrifiante qui montre qu’il n’existera bientôt plus de rapports humains qui ne soient placés sous le signe de la domination, plus de rapports sexuels, plus de frontière entre le virtuel et le réel. Le destin de son héroïne, réduite au statut d’image de consommation, à la merci des internautes anonymes, est terrifiant. Plutôt que de laisser de glace, Demonlover fait froid dans le dos.

Demonlover marque un point de non retour dans la filmographie d’Assayas, une expérience limite sans doute trop dangereuse. Clean, L’Heure d’été, Carlos et Après mai dévoilent un cinéaste plus apaisé, maître de son art et en pleine possession de ses moyens. Après mai est sans doute le film le plus solaire et sensuel du cinéaste, guéri de ses démons futuristes, prêt à visiter son passé pour éclairer son présent, avec ce mélange de mélancolie et de ferveur adolescente qui l’a toujours caractérisé.

Olivier Assayas sur le tournage de Demonlover

Olivier Assayas sur le tournage de Demonlover

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