Hervé-Pierre Gustave, alias HPG, naît en 1966. En 1990, il tourne son premier film pornographique Service actif de Jean-Daniel Cadinot, et devient rapidement l’un des comédiens les plus actifs et les plus singuliers de la scène X internationale. Il enchaîne avec stakhanovisme les tournages. C’est en 1995 qu’il se lance pour la première fois dans la production et la réalisation de courts métrages non pornographiques qui n’ont pourtant rien de « traditionnel ». Le premier, Acteur X pour vous servir, possède en germe les qualités et les caractéristiques de ses films suivants, et se présente comme le premier chapitre d’un « work in progress » en forme d’autoportrait, d’une œuvre placée sous le signe de la confession et de l’exorcisme. Dans un mélange de fiction, de documentaire et de journal intime, le jeune cinéaste questionne sans tabou ni concession sa place dans le monde du cinéma, son rapport avec son propre corps et son image, ses relations sentimentales difficiles. En 2001, HPG signe avec HPG, son vit, son œuvre un stupéfiant journal filmé qui révèle un personnage à la fois extrêmement attachant et insupportable, fragile et manipulateur, doté d’un sens de l’humour dévastateur et d’une bonne dose d’autodestruction. On y voit HPG dans sa vie de tous les jours, mais aussi au travail et certains de ses castings vidéo, réalisés avec des femmes désireuses de tourner dans des films pornos amateurs, déclencheront la colère des féministes de l’Association des Chiennes de garde. HPG, hostile à toute forme de censure, leur répondra avec un petit film en forme de tract, Chiennes, prenez garde. Ses courts métrages suivants (Hôpital psychiatrique de garnison, Hypergolique), tour à tour poétiques, polémiques ou provocateurs, confirment le talent d’HPG et l’originalité de sa démarche de cinéaste. HPG devient une figure artistique mais aussi médiatique controversée, qui ne laisse personne indifférent. La Cinémathèque française le soutient dès ses débuts et lui consacre deux soirées mémorables où il montre ses films et s’exprime en toute liberté. En 2006, son premier long métrage de cinéma On ne devrait pas exister est présenté à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs (quand j’en étais le délégué général). HPG continue de produire ou d’interpréter des films pornographiques afin de financer ses projets personnels.
On ne devrait pas exister, le premier long métrage réalisé pour le cinéma par HPG, est une passionnante étape au sein du travail introspectif entrepris par le célèbre hardeur français en marge de sa carrière dans le X. HPG est l’auteur depuis 1995 d’une œuvre excentrique et très personnelle constituée de journaux filmés tourmentés et mélancoliques, d’essais burlesques, de réflexions et d’interrogations sur le métier de comédien. On retrouve tous ces thèmes et ces éléments dans On ne devrait pas exister. On peut même y voir la conclusion d’une première période très narcissique et nihiliste. Avec beaucoup d’humour mais aussi de mélancolie et d’angoisse, le cinéaste expose ses propres contradictions à l’écran, celle d’un hardeur humilié par les tournages à répétition de film X mais incapable d’exprimer des sentiments et des émotions comme un acteur « normal ». HPG revisite dans ce film en forme d’essai les paradoxes du comédien et l’éternel débat entre le vrai et le faux, le vécu et l’imaginaire au cœur de toute œuvre théâtrale et cinématographique. Le film est scandé par trois moments anthologiques, trois étapes douloureuses où Hervé fait l’expérience de ses limites, de sa volonté de devenir un acteur sans pourtant être capable de sortir de son propre personnage.
Le départ en catastrophe d’un tournage de film X, l’altercation avec des élèves d’un cours de théâtre, auxquels Hervé reproche de ne rien connaître à la vie, et l’échec d’Hervé incapable de donner la réplique à Marilou Berry et Rachida Brakni lors de répétitions avec le cinéaste Bertrand Bonello sont ainsi les temps forts du film. HPG a le courage de se livrer à sa propre autocritique et problématise tout, y compris sa relation amoureuse avec sa compagne de l’époque, LZA, elle aussi soucieuse de mettre en scène et d’exhiber en public ses propres souffrances (HPG avec Danger risque de chute lui consacrera un court métrage en forme d’adieux déchirants.) Sérieux dans son propos, le film ne réserve pas moins plusieurs moments de délire, d’humour absurde et de pure bouffonnerie. S’il a signé un OVNI dans le paysage cinématographique français, HPG est peut-être le dernier descendant d’une lignée de cinéastes francs-tireurs qui n’ont jamais fait du cinéma comme les autres, comme Jean Eustache, Luc Moullet ou Jean-Pierre Mocky.
Son deuxième long métrage, encore un OVNI plus ouvertement fictionnel, Les Mouvements du bassin, est présenté demain en première mondiale dans la section Cinéastes du présent du Festival del film Locarno. HPG sera accompagné de ses comédiens principaux, Rachida Brakni, Joanna Preiss et Eric Cantonna (l’époux de Rachida à la ville) qui poursuit une intéressante reconversion derrière les caméras après sa brillante carrière de footballeur, qui devrait également faire un tour ce soir du côté de la Piazza Grande pour le plaisir de ses nombreux admirateurs.
Avant le début du Festival, nous avions rencontré HPG pour lui poser quelques questions sur son nouveau film pour le dossier de presse (la sortie est prévue en France le mercredi 26 septembre, distribué par Capricci (également coproducteur). Les voici !
LE PASSAGE A LA FICTION
OP : Les Mouvements du bassin marque une nouvelle étape dans ton parcours de cinéaste pour plusieurs raisons. La première, c’est le passage de l’autofiction à la fiction pure : tu as choisi de raconter une histoire en inventant des personnages, et tu as laissé le hard de côté. Souhaitais-tu échapper à l’étiquette « journal intime » ?
HPG : Je trouve que la réalité reste bien plus délirante et cinématographique que la fiction. Trop scénariser, ça ne m’intéresse pas. J’ai donc tâché de rester au plus près de la réalité, mais je n’hésite pas à la fantasmer. C’est sans doute la conséquence de ma longue activité dans l’industrie du X. Je suis acteur X depuis 25 ans et réalisateur producteur depuis plus de dix ans. Ce qui me conduit à mélanger réalité et fantasme et à ne pas faire de séparation entre vie privée et vie publique.
OP : Par ailleurs, c’est la première fois que tu te confrontes à un portrait de femme. Etait-ce un défi ?
HPG : Le point de départ, c’est une femme qui perd un enfant par la faute de quelqu’un d’autre. Personne ne lui vient en aide. Elle décide de chercher le type qui l’a agressée pour lui demander réparation. Elle retrouve le mec et exige qu’il lui fasse un nouvel enfant. Cette solution pour se reconstruire sera pour certains incroyablement courageuse ou monstrueuse et illogique pour d’autres. Ce qui m’intéressait, c’étaient les moyens entrepris par cette femme pour retrouver un équilibre. C’est elle la véritable héroïne du film, qui raconte son odyssée. Au stade de l’écriture, l’histoire d’une femme enceinte était à des kilomètres de moi, de ce que je vivais. J’ai tenté de me mettre à sa place.
OP : À l’origine, tu ne devais pas interpréter le personnage principal. Voulais-tu t’extraire de ton œuvre, de ne plus en être le centre ? Quand as-tu décidé de jouer le rôle ?
HPG : Je souhaitais sortir d’un nombrilisme forcené. Mais, étant sensible à la flatterie, dès qu’on m’a encouragé, j’ai immédiatement changé d’avis. Mais j’espère qu’en vérité, la principale raison est que j’avais peur de ne pas être à la hauteur en tant qu’acteur. J’ai toujours su que ce personnage était proche de ce que je suis, bien que je lui aie prêté un autre parcours. J’espère être moins extrême que ce personnage. Certains, et ils auront peut-être raison, diront que non.
OP : Eric Cantona, Rachida Brakni… tu voulais travailler avec des stars ?
HPG : J’avais envie de faire un film avec des personnes avec lesquelles j’aime me trouver. Qu’ils soient connus ou pas, peu m’importe. J’aime Eric Cantona et Jérôme Le Banner, point. On est trois gaillards qui font ce qu’ils peuvent pour bien travailler après des carrières sportives. On n’a pas pris de cours de théâtre. On se débrouille comme on peut, à l’instinct. On est de grands enfants sensibles dans des corps d’adultes et de brutes. Et j’aime Rachida Brakni. Elle a une technique d’enfer qui ne se voit pas. Tout le contraire de moi.
AUTOPORTRAIT
OP : Ton personnage n’a rien pour lui. Et pourtant, il finit par être émouvant à force de pathétisme. Comment le vois-tu ? Comme un raté complet ?
HPG : Il est comme moi lorsque j’avais 10 ans, et parfois comme je suis encore aujourd’hui. Un mec qui voulait qu’on le suive à vélo mais qui n’y arrivait pas parce qu’il est asocial et maladroit. Ce sont les défauts qui rendent touchant un personnage. Il se débat contre lui-même. La lueur d’espoir qui apparait devient alors encore plus belle.
OP : Le pont entre le personnage que tu joues ici et ce que tu incarnes dans les films antérieurs, c’est ce corps burlesque, dont la poésie se manifeste dans le pas de danse ou dans les mouvements d’arts martiaux. D’où vient cette idée de danse qui revient à plusieurs reprises dans le film ?
HPG : J’aime Buster Keaton, les danseuses, la danse mortuaire que fait un combattant, les exhibitionnistes, les timbrés, les corps divaguant à cause de l’alcool, la folie… et au final le chemin à prendre pour retrouver son équilibre. Je m’exprime instinctivement plus avec le corps qu’avec l’esprit quand je suis devant une caméra. Normal pour un hardeur. Faire un film porno ou un film traditionnel est, pour moi en tant qu’acteur ou réalisateur, semblable.
OP : Au fond, la question qui est au cœur du film n’est-elle pas : comment assumer la paternité ? Et si c’est le cas, Les Mouvements du bassin ne serait-il pas paradoxalement ton film le plus autobiographique ?
HPG : Il est autobiographique à un point que je ne pouvais imaginer à l’époque. Tellement proche de ce que je vis… Je voulais faire ce film pour parler des choses que je ne peux pas regarder en face. En premier lieu : savoir être un père. Mais plus largement, je voulais parler de choses que je ne connaissais pas. Comme je le disais, m’identifier à une femme qui attend un enfant et qui le perd. En tant que hardeur, je n’ai pas la légitimité de me mettre à la place des femmes. J’en avais donc incroyablement peur. Aussi, je voulais parler des enfants parce que je savais que j’allais bientôt devenir père et je souhaitais me préparer psychologiquement.
UN MONDE CRUEL ET SANS APPEL
OP : Le film est très pessimiste. On assiste à l’échec de la masculinité. Le type se fait virer de partout, et est réduit à l’état de légume. Au contraire, c’est le triomphe de la féminité : la femme est forte, est capable de surmonter les épreuves. D’où vient cette vision du monde ?
HPG : La vie est parfois tellement incompréhensible…
La femme n’est ni plus forte ni moins forte que l’homme. On se bat avec des armes parfois différentes. Il est vrai que le personnage interprété dans le film par Rachida est une femme qui se débat avec courage. J’aime ce genre de personnage. Moi, j’aime bien m’en mettre plein la gueule. Pourquoi ? Parce que je suis un mec sûr de lui. Dessiner un personnage qui suit un parcours balisé avec un début, un climax et une fin, ça ne correspond pas à mon tempérament. Pour moi, Hervé le gardien de zoo a traversé des épreuves qui doivent lui servir à cogiter sur son sort. S’il se met à analyser ce qu’il a fait, comment il a gâché sa vie, si c’est ce que vous lisez dans son regard au dernier plan du film, alors vous comprenez que la voie lui reste ouverte, qu’il peut encore essayer de s’améliorer. C’est sûr qu’on ne sait pas s’il a pris conscience de sa connerie mais l’important c’est qu’il réagisse.
OP : J’ai beaucoup pensé à certains films de Ferreri. Et puis à Bukowski évidemment… Quelles ont été tes influences ?
HPG : Barbet Schroeder, Charles Bukowski, Gaspar Noé et si vous pensez à des dingues, il y a de grandes chances pour qu’ils soient également des sources d’inspiration, mais pas vraiment consciemment… Je fais du cinéma, non pour me contrôler, mais pour me perdre et essayer de m’en sortir. C est cette tentative qui est pour moi intéressante à filmer. Au final le film, et c’est le cas ici, doit dégager un message positif, optimiste. Rester dans la noirceur ne m intéresse pas. Je tends toujours vers la tragi-comédie, le monde est déjà assez dur comme ça. C’est ce que sont Les Mouvements du bassin, une tragi-comédie.
Propos recueillis à Paris le vendredi 8 juin 2012. Remerciements à Julien Rejl de Capricci films.
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