Olivier Père

Adieu à Claudia Laffranchi

 

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La terrible nouvelle est tombée mercredi dernier, en plein milieu du Festival de Cannes : La disparition tragique et prématurée de Claudia Laffranchi. Claudia fut la présentatrice de la Piazza Grande de 2005 à 2011. Pendant sept ans c’est elle qui présentait chaque soir le programme, introduisait les films et les artistes sur la fameuse place de Locarno qui accueille les projections en plein air devant 8.000 personnes. Claudia, tessinoise de naissance, était également traductrice, capable de passer d’une langue à une autre avec une grande dextérité, qualité indispensable pour les présentations sur la Piazza Grande où l’anglais, l’italien, le français et l’allemand se mélangent au gré des soirées.

Claudia était une femme affable, sympathique et toujours gaie, passionnée de cinéma. Elle avait le contact facile, aimait les gens et les artistes et elle savait instaurer une relation de confiance et de connivence avec les invités de Locarno, tout en restant professionnelle. C’est pour toutes ces raisons que le public de Locarno, mais aussi les habitués de la presse et de l’industrie qui assistent au festival appréciaient Claudia. Elle était le visage et la voix de la Piazza Grande, son grand sourire, à la fois populaire et élégante, à l’image de ce Festival qu’elle aimait tant.

J’ai rencontré Claudia pour la première fois en août 2009, durant le Festival del film Locarno, afin d’évoquer nos objectifs et nos ambitions pour l’avenir de la manifestation et la Piazza Grande en particulier, dont elle était la maîtresse de cérémonie, mais une maîtresse à l’écoute de la direction artistique, disponible et ouverte aux changements. Claudia était aussi, à ce moment-là, correspondante du Festival pour le cinéma américain. Ma restructuration du comité de sélection ne prévoyait pas des correspondants régionaux, mais sa belle personnalité nous a permis de collaborer lors des deux éditions suivantes du Festival. Elle était toujours prête à rendre service et à proposer des idées à la direction artistique, car ses activités de journaliste de cinéma à Los Angeles la mettaient régulièrement en contact avec des personnalités importantes de Hollywood. Même si on n’a pas travaillé ensemble pour 2012, Claudia reste une personne qui a donné énormément au Festival. C’est elle qui l’année dernière m’avait suggéré de remettre le Prix Raimondo Rezzonico au producteur Mike Medavoy, qui avait immédiatement répondu favorablement à notre invitation. C’est aussi Claudia qui avait interviewé le légendaire Kirk Douglas dans sa résidence de Beverly Hills, lors de l’entretien filmé qui fut projeté à la Cinémathèque française lors de l’ouverture de la rétrospective Stanley Kubrick, et sur la Piazza Grande lors de la cérémonie d’ouverture de la 64ème édition du Festival del film Locarno, à l’occasion de la rétrospective Vincente Minnelli. A chacun de mes voyages à Los Angeles je retrouvais Claudia, qui organisait mes rendez-vous avec les responsables des studios et les publicistes et me conduisait à travers la ville (je n’ai pas le permis de conduire, ce qui n’est pas extrêmement pratique à Los Angeles). Claudia était le guide parfait pour circuler efficacement dans cette ville immense et tentaculaire où elle se sentait à l’aise, malgré les nombreuses difficultés professionnelles que peuvent rencontrer les résidents étrangers. Courageuse et persévérante, Claudia, journaliste « free lance » pour plusieurs médias américains, suisses (RSI, Il Caffé) et italiens (Il Giornale) comme ne ratait pas une seule « press junket » lors de la promotion des gros films hollywoodiens, et réussissait régulièrement de jolis coups journalistiques. Elle était fière de son entretien avec Mickey Rourke, et plus récemment d’une interview de Steven Spielberg. En 2009, je me souviens aussi d’un dîner très tard dans un vieux restaurant de Downtown dont j’ai oublié le nom et dont nous étions les derniers clients, avec Claudia, Vincent Gallo et Mark Peranson du comité de sélection du Festival. Vincent, très en verve comme à son habitude, nous avait fait beaucoup rire et je pense qu’il avait été sensible à la présence d’une belle femme comme Claudia à sa table.
La dernière fois que j’ai vu Claudia, c’était au début du mois de novembre 2011 à l’occasion de l’AFI FEST, le Festival de Los Angeles qui reprenait plusieurs films sélectionnés à Locarno, quelques jours après l’AFM, le marché du film à Santa Monica. Nous assistions à une fête sur le toit du légendaire Roosevelt Hotel (ou se déroula la première cérémonie des Oscars). Le Roosevelt se situe sur Hollywood Boulevard, à quelques mètres de l’American Cinematheque dans l’Egyptian Theater et du Grauman’s Chinese Theatre où se déroulaient certaines projections du festival, comme la première américaine du Tintin de Steven Spielberg en soirée de clôture. J’étais avec mon ami Manlio Gomarasca, correspondant du Festival del film Locarno, et le réalisateur suisse Michael Steiner, en tournée américaine avec la programmation de ses films organisée par l’Ambassade suisse. Nous avions dîné ensemble. Claudia, une fois de plus de bonne humeur et sociable, nous avait rejoint avec Nadia Dresti, déléguée à la direction artistique et responsable de l’Industry Office du Festival del film Locarno. Claudia m’avait offert la veille de mon retour à Paris son livre Les Italiens à Hollywood: le cinéma italien aux Academy Awards, un bel ouvrage qui recensait les artistes italiens récompensés aux Oscars, coécrit avec Silvia Bizio aux éditions Gremese.
Nadia est l’une de mes plus proches collaboratrices, mais c’était aussi l’une des meilleures amies de Claudia. Toutes les deux tessinoises, elles ont vécues ensemble plusieurs éditions du Festival, mais elles se voyaient régulièrement à Los Angeles ou ailleurs. En Inde par exemple, où Claudia nous avait rejoint pour quelques jours de vacances à Goa, l’année dernière. Nadia préparait l’opération Open Doors dédiée à l’Inde à l’occasion du Festival de Goa, organisant sur place une conférence de presse, tandis que j’étais membre du jury de la compétition internationale. Une fois de plus Claudia avait séduit nos interlocuteurs indiens avec sa bonne humeur communicative et je me souviens d’un agréable dîner en compagnie des deux Tessinoises et de plusieurs jeunes réalisateurs et producteurs indiens.

Averti très tôt le matin par le Président Solari de la douloureuse nouvelle venue de Los Angeles, c’est moi qui ai appris la disparition de Claudia à Nadia. Les jours suivants, au milieu de la frénésie cannoise, rendue insupportable par notre besoin de recueillement, les messages de sympathie n’ont cessé de nous parvenir des festivaliers du monde entier, preuve si nécessaire de la popularité et de la notoriété internationale de Claudia.

A la famille de Claudia, sa mère, sa sœur et son frère, à ses amis et ses proches j’adresse mes plus sincères condoléances. Comme des milliers de spectateurs de la Piazza Grande, comme tous ceux qui eurent la chance de la connaître et de la côtoyer, dans le travail et l’intimité, je n’oublierai pas Claudia et sa remarquable contribution au Festival, je n’oublierai pas son sourire, sa générosité et sa gentillesse. Quand une personne disparaît brusquement on regrette toujours la conversation interrompue, les mots qu’on a pas eu le temps de prononcer : A Claudia je voudrais dire, une ultime fois, « merci. »

Claudia Laffranchi et Leslie Caron

Claudia Laffranchi et Leslie Caron

Catégories : Actualités

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