Olivier Père

The Gingerbread Man de Robert Altman

The Gingerbread Man (1998)

The Gingerbread Man (1998)

Eloge du film mineur, suite. On a de la matière avec Robert Altman, surtout dans les années 80 et 90. Davantage encore que O.C. and Stiggs, Cookie’s Fortune ou Docteur T et les femmes, The Gingerbread Man (1998) ne compte pas parmi les titres essentiels ou représentatifs de la carrière du cinéaste américain. On se demande encore ce qui a pu décider Robert Altman à filmer cette histoire originale de John Grisham, célèbre auteur de best-sellers judiciaires. Et ce n’est pas le résultat final qui va éclairer le spectateur sur les intentions d’Altman, qui déclara à l’époque qu’il avait trouvé là l’occasion de réaliser un thriller, genre qu’il n’avait jamais abordé. A sa sortie, The Gingerbread Man fit surtout parler de lui à cause de la bagarre qui opposa le réalisateur et ses producteurs au sujet du montage final du film. Après des projections test décevantes, Polygram décida en effet de remonter le film, déclenchant l’ire d’Altman qui demanda à ce que son nom soir retiré du générique. Comme le montage de Polygram se révéla encore plus catastrophique auprès du public lors de la sortie du film, c’est finalement le montage initial du réalisateur qui fut distribué, permettant au long métrage d’Altman d’être un succès critique à défaut d’un triomphe commercial. Ce conflit à l’issue heureuse et même édifiante est symptomatique des relations houleuses que Robert Altman entretint toute sa vie avec le système hollywoodien et les studios indépendants. Et c’est finalement John Grisham qui disparut du générique en tant que scénariste, utilisant le pseudonyme d’Al Hayes en raison de ses désaccords avec Altman. Le scénario de The Gingerbread Man, justement, n’est pas renversant. Un avocat divorcé voit sa brillante carrière s’écrouler à cause de sa nouvelle cliente et maîtresse, une jeune femme martyrisée par son père, le chef d’une secte de clochards. Reste le film en tant qu’objet cinématographique. Et là le résultat devient sinon plus intéressant du moins séduisant. Car le talent de filmeur d’Altman est perceptible à chaque plan. On retrouve cette façon d’aller et venir sur des personnages à l’intérieur d’un groupe, d’englober un intrigue principale dans un mouvement plus large – ici l’attente d’un cyclone qui s’approche de la ville, symétriquement à la progression, de plus en plus prévisible du suspense. Le cinéaste privilégie les scènes et des personnages secondaires (interprétés par les excellents Robert Downey Jr., Tom Berenger, Robert Duvall, entourant un Kenneth Branagh moins mauvais que d’habitude) par rapport à l’efficacité du récit. Altman semble se moquer pas mal du scénario de Grisham en expédiant en quelques minutes une scène de procès aussi bâclée que le procès lui-même. C’est la force d’Altman d’insuffler son style inimitable à un récit conventionnel. Il manque sans doute à The Gingerbread Man la touche d’intelligence et de dérision habituelle d’Altman lorsqu’il entreprenait dans les années 70 de dynamiter les conventions du cinéma hollywoodien classique, que se soit le film noir avec Le Privé ou la science-fiction avec Quintet. Le cinéma de genre réussit à Altman à condition qu’il soit libre de le subvertir de l’intérieur. Si l’on était pervers, on avancerait l’hypothèse qu’Altman a eut envie de filmer une histoire de Grisham car il a été attiré par la misanthropie de l’écrivain. The Gingerbread Man est en effet un film vachard, misogyne et mal pensant. On aime bien les scènes hargneuses où Kenneth Branagh casse la figure au concierge de l’école de ses enfants, ou ses disputes avec sa garçe d’ex-femme et son nouveau mec. Une telle méchanceté fait parfois mouche, et constitue peut-être la légitimation – assez faible – du film. Au moment de sa sortie The Gingerbread Man souffrit de la comparaison avec le beau Minuit dans le jardin du Bien et du mal de Clint Eastwood (les deux films se déroulent à Savannah, pittoresque ville de Géorgie), et surtout avec L’Idéaliste de Francis Ford Coppola, une autre commande d’après un bouquin de John Grisham, beaucoup plus magistrale et passionnante que le film d’Altman, qui apparut comme un coup dans l’eau de plus dans la carrière inégale d’un auteur majeur du cinéma américain.

Le film sera projeté le samedi 4 février à 22h et le dimanche 26 février à 19h30 dans le cadre de l’hommage à Robert Altman à la Cinémathèque française.

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