Tod Browning a réalisé l’un des plus beaux films du monde, Freaks (La Monstrueuse Parade, 1932), quelque chose d’inconcevable, de cruel et de poétique, un chef-d’œuvre profondément choquant encore aujourd’hui, presque une anomalie dans l’histoire du cinéma. Browning n’est pas l’auteur d’un seul titre, et toute sa filmographie révèle un goût immodéré et un génie unique pour le bizarre.
Dans L’Inconnu (The Unknown, 1927), un assassin reconnaissable par une malformation à la main (il a trois pouces) échappe aux investigations de la police en se faisant passer pour un lanceur de couteaux dans un cirque gitan. Il a dissimulé ses bras dans un corset et, simulant l’infirmité, lance les lames avec les pieds. Il tombe amoureux de la fille du directeur (la jeune Joan Crawford), qui s’éprend de lui car traumatisée dans son enfance par une agression sexuelle elle ne peut supporter que des mains d’hommes se posent sur elle. Par passion, le tueur décide d’amputer pour de bon ses membres supérieurs, avec la complicité d’un chirurgien, pour pouvoir épouser la jeune fille. C’est sans compter un terrible tour du destin.
Sans exagération aucune, on peut affirmer que L’Inconnu est l’un des mélodrames les plus délirants jamais réalisés, dans lequel le cinéaste explore cinq ans avant Freaks la thématique de la monstruosité et de l’humanité, de la laideur et de la beauté. Les rebondissements atroces de cette histoire d’amour fou suffiraient à enflammer l’imagination des spectateurs les plus blasés. Ce serait sans compter l’interprétation hallucinante de Lon Chaney (1883-1930), acteur d’élection de Browning (dix films ensemble), qui transforme L’Inconnu en expérience inoubliable. Expert en maquillages et déguisements, Chaney était également capable de prouesses physiques extraordinaires. Browning a créé pour lui plusieurs personnages étranges à sa démesure, mais aucun ne surpasse Alonzo, le faux manchot lanceur de couteaux.
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