Dixième et avant-dernier long-métrage de Maurice Pialat, Van Gogh (1991) ressemble au film d’une vie. Le cinéaste de L’Enfance nue réussit avec ce portrait du peintre à ressusciter un monde éteint. Ce film à costume échappe totalement à l’impression de reconstitution ou d’académisme. Van Gogh parle des relations entre les hommes et les femmes, de la famille, de l’art et de la France, de l’appétit sexuel. Autant de sillons que Pialat, peintre devenu cinéaste, artiste incommode du cinéma français, a implacablement creusés de film en film. Rejoignant Ford (Le Massacre de Fort Apache cité dans la scène de bal) et Renoir dans son souci du vrai et son lyrisme discret, Pialat ne nous a jamais paru aussi présent et intime que dans cette biographie filmée qui fait oublier toutes les autres. Van Gogh s’attache à montrer les derniers jours d’un artiste célèbre, mais c’est tout autant le portrait d’un homme en fin de parcours et une radioscopie de la société française et de ses classes, du souvenir encore douloureux des tueries de la Commune, évoquées avec beaucoup d’émotion à deux reprises dans le film. Comme il lui est reproché dans le film, Van Gogh n’est pas « sympathique ». Il vit une relation ombrageuse avec son frère Théo, sans doute jaloux de son génie, à qui il reproche de laisser dormir ses toiles. Il fustige la critique, les commerçants d’art et ses contemporains. En revanche, il apprécie la compagnie des paysans et des petites gens, mais aussi des filles de joie dans les bordels, à la ville ou la campagne. Marguerite Gachet, la fille de son mécène le docteur Gachet, amoureuse de Van Gogh, dira au début du film qu’il est difficile de faire simple. On est tenté d’appliquer cette maxime au cinéma de Pialat. Conçu dans la souffrance et la colère, fruit d’un tournage émaillé de nombreux incidents et conflits, Van Gogh est un chef-d’œuvre où se succèdent les moments de désespoir et de douceur, les plages de bonheur (le déjeuner dominical chez les Gachet), de sensualité et d’abandon (la nuit au bordel) avec les moments de doute et de violence. Pialat atteint au pictural sans jamais sombrer dans le pittoresque, au naturel en évitant les écueils du naturalisme. Jacques Dutronc est très bon mais on ne peut s’empêcher de penser à tout ce qu’aurait pu faire et donner Gérard Depardieu, l’acteur fétiche de Pialat, dans le rôle de Van Gogh. La beauté de la photographie et du cadre, l’inventivité du montage qui donne au film un rythme profondément inhabituel, l’attention de Pialat à l’existence du moindre figurant, sans parler de l’interprétation magnifique des acteurs et actrices principaux, font de Van Gogh un des titres majeurs du cinéma contemporain, une œuvre qui se sent un peu seule, hélas, dans notre époque. Comme Pialat.
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