Olivier Père

Le Grand Embouteillage de Luigi Comencini

En 1979, date de la sortie de Le Grand Embouteillage (L’ingorgo – una storia impossibile), l’âge d’or de la comédie italienne est révolu.

<em>Le Grand Embouteillage</em> de Luigi Comencini (1979)

Le Grand Embouteillage de Luigi Comencini (1979)

Les principaux cinéastes qui l’ont l’illustré vont signer des œuvres dont le ton s’éloigne de plus en plus de l’humour, même très noir, qui caractérise les classiques du genre. Parce qu’elles ont observé et critiqué avec ironie l’évolution de la société italienne depuis la fin de la guerre jusqu’au boom économique, les comédies de Risi, Monicelli et Comencini ne peuvent que devenir plus pessimistes, sinistres et même tragiques avec l’aggravation de la corruption, la crise sociale et politique, le terrorisme et la violence qui frappent l’Italie de la fin des années 70. Luigi Comencini, cinéaste pourtant réputé pour son humanisme, signe ici un monument de noirceur au point que Le Grand Embouteillage n’a plus grand-chose à voir avec la comédie, et se transforme progressivement en fable apocalyptique sans aucun espoir. Le film prend pour point de départ une réalité (les énormes embouteillages qui paralysent le trafic routier à l’entrée de Rome, déjà illustrés dans une scène de Roma de Fellini) pour déboucher sur une vision cauchemardesque et allégorique du monde moderne en général et de la société italienne en particulier. Plusieurs échantillons de la population, industriels, intellectuels, artistes, petit-bourgeois ou prolétaires, pris au piège et obligés de cohabiter, entassés dans leurs voitures,  laissent éclater leur bassesse, leur médiocrité ou pire, leur ignominie. Les deux seuls personnages sympathiques, un conducteur de camion et une jeune hippie, seront sacrifiés au nihilisme du film, lui passé a tabac et dépossédé de son chargement par des pilleurs, elle violée par trois voyous dans une scène particulièrement désagréable. Le Grand Embouteillage parvient à créer un véritable malaise chez les spectateurs, en dépassant les limites de la satire italienne pour se rapprocher des films français de Luis Buñuel comme Le Charme discret de la bourgeoisie, avec de surprenantes incises surréalistes et un climat général qui dérape vers l’absurde et le cauchemar.

Affiche française de <em>Le Grand Embouteillage</em> (1979)

Affiche française de Le Grand Embouteillage (1979)

Le Grand Embouteillage, coproduction entre l’Italie, L’Espagne, la France et La RFA, réunit de nombreuses vedettes européennes, dans des rôles surprenants et parfois inhabituels. Noyées au milieu des figurants et des comédiens moins connus, elles ont toutes des rôles épisodiques, à l’instar de certaines fictions chorales de Robert Altman comme Nashville ou Un mariage. On y retrouve bien sûr des habitués de l’univers de Luigi Comencini et de la comédie italienne : Alberto Sordi, parfait dans le rôle d’un industriel cynique et méprisant qui pense que tout peut s’acheter, une bouteille d’eau comme les faveurs d’une fille ; Marcello Mastroianni joue une vedette dépressive, Ugo Tognazzi un intellectuel ridicule et Stefania Sandrelli une femme au foyer enceinte. L’acteur fétiche de Luis Buñuel, Fernando Rey a beaucoup tourné en Italie, notamment sous la direction de Sergio Leone, Sergio Corbucci, Francesco Rosi, Mauro Bolognini. On retrouvera Angela Molina, révélée en 1977 dans Cet obscur objet du désir, dans d’autres films italiens comme Opération Ogro de Gillo Pontecorvo et Les Yeux, la bouche de Marco Bellocchio. Plusieurs acteurs français apparaissent au générique du Grand Embouteillage : Annie Girardot fut une habituée des coproductions franco-italienne et trouva ses deux meilleurs rôles de l’autre côté des Alpes, sous la direction de Luchino Visconti (Rocco et ses frères) et Marco Ferreri (Le Mari de la femme à barbe). Le trio des Valseuses, Patrick Dewaere, Miou-Miou et Gérard Depardieu, fut sollicité par les cinéastes italiens après le succès du film de Bertrand Blier. On retrouve Dewaere et Miou-Miou au générique de La Marche triomphale de Marco Bellocchio, Dewaere dans La Chambre de l’évêque de Dino Risi, et Miou-Miou dans Un génie, deux associés, une cloche de Damiano Damiani, western produit par Sergio Leone qui devait à l’origine réunir les trois jeunes comédiens français. Mais c’est Depardieu qui aura le plus de chance avec les grands réalisateurs italiens en tournant deux fois sous la direction de Marco Ferreri, La Dernière Femme et Rêve de singe, et en interprétant les rôles principaux de 1900 de Bernardo Bertolucci aux côtés de Robert De Niro et  de Rosy la bourrasque de Mario Monicelli.

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