Belle journée puisque je retrouve Eric Khoo, un habitué du Festival de Cannes depuis 12 Storeys présenté à UCR en 1997. C’est bien plus tard que j’ai rencontré Eric Khoo, en 2005 en escale à Singapour, où j’avais découvert son film Be With Me, qui m’avait tellement plu que je l’avais immédiatement invité en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs. Distribué par MK2, soutenu par Pierre Rissient qui avait été le premier à s’intéresser au travail d’Eric, le film avait été l’un des événements du Festival de Cannes cette année-là et lancé la carrière internationale d’Eric et sa reconnaissance critique. Le film avait aussi scellé une grande amitié entre nous. Nous évoquons des souvenirs de notre première rencontre et de Be With Me chaque fois que nous nous retrouvons.
Be With Me est un film choral sur des êtres en quête d’amour. Le cinéaste parvient à parler de solitude urbaine et de spleen sentimental sans sombrer dans la noirceur cynique et la cruauté des nombreuses études psychologiques sur le même sujet, est au contraire un chant d’espoir, une œuvre qui redonne à la notion d’humanisme sa véritable signification. Un chant, car c’est la musicalité de Be With Me qui séduit en premier lieu, la façon dont le cinéaste, avec un recours parcimonieux aux dialogues, compose une symphonie d’émotions contradictoires. La structure du film, qui mêle de manière extrêmement subtile fiction et documentaire, des personnages inventés et une personne réelle, sans que ce procédé soit immédiatement dévoilé au spectateur, confère à Be With Me une dimension rare et précieuse, celle d’essai cinématographique. En s’inspirant des mémoires, de la biographie et de la vie quotidienne d’une femme remarquable, Theresa Chan (qu’Eric Khoo connaît depuis des années), le cinéaste met en scène un film qui dépasse le simple témoignage pour déboucher sur une réflexion sur l’amour, l’espoir et le destin.
Plusieurs choses nous émeuvent profondément dans Be With Me d’Eric Khoo. D’abord qu’un film produit dans un pays dont on ne reçoit guère de nouvelles cinématographiques, Singapour, parvienne à nous toucher par son caractère universel.
Cette universalité s’explique bien sûr par le sujet du film mais aussi la beauté immédiate de son écriture cinématographique, qui néglige les effets superflus pour se concentrer sur des préoccupations formelles et narratives essentielles : comment filmer les souvenirs ? Comment filmer les sensations ? Comment filmer les sentiments ?
Enfin, parce que Be With Me confirme que les plus beaux films minimalistes atteignent des perspectives immenses, qui sont celles du cœur et de l’esprit. En 2006, Eric Khoo réalise un film de 39 minutes pour un long métrage collectif, No Day Off, faux journal filmé d’une femme de ménage qui dénonce une condition proche de l’esclavage. Le film est un chef-d’œuvre, présenté au Festival del film Locarno.
Deux ans plus tard, My Magic adopte la forme beaucoup plus primitive mais tout aussi poétique du mélodrame populaire pour raconter la déchéance d’un fakir alcoolique dans le quartier indien de Singapour. s’inspirant une fois de plus de la vie d’un personnage réel, Francis Bosco, magicien à la carrure impressionnante qu’Eric avait rencontré dans les bars de la ville.
Chaque film d’Eric Khoo invente une nouvelle forme, pour l’expérimenter. Malgré seul l’humain l’intéresse, et il s’agit à chaque film de rendre hommage à la vie, le courage ou le talent d’une personne en particulier, connue et admirée par le cinéaste. Célébrer un homme pour les célébrer tous. Nous allons découvrir mardi à Cannes son nouveau film (dans la section UCR), Tatsumi (photo en tête de texte) un film d’animation (nouveau pari formel pour le cinéaste) d’après l’œuvre autobiographique du dessinateur de manga Yoshihiro Tatsumi qu’Eric Khoo admire depuis longtemps.
Eric Khoo était le président du jury de la compétition internationale du Festival del film Locarno en 2010. Un bon président, un bon jury et un bon palmarès puisque c’est Winter Vacation de Li Hongqi, dont la poésie à la fois drôle et mélancolique ne pouvait que toucher la sensibilité d’Eric qui avait remporté le Léopard d’or.
Eric Khoo, Président du jury de la compétition internationale du Festival del film Locarno en 2010.
© Festival del film Locarno / Pedrazzini
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