Olivier Père

La Chute de la maison Usher de Jean Epstein

ARTE nous permet de revoir ou de découvrir La Chute de la maison Usher (1928) de Jean Epstein dans une belle version récemment restaurée et mise en musique, dans le cadre du rendez-vous mensuel autour du cinéma muet, ce soir à 23h50.

Epstein adapte fidèlement la nouvelle d’Edgar Allan Poe. Un homme part au secours de son ami Roderick Usher, alerté par une lettre alarmiste de ce dernier. Usher vit dans un château à l’atmosphère étrange. Lady Madeleine, sa femme, meurt dans de mystérieuses circonstances. Son mari refuse de croire à cette mort et interdit de clouer le cercueil. Il est persuadé que sa bien-aimée va revenir. Elle réapparait en effet une nuit, tandis que son mari attend son retour.

Poème visuel sur le thème de la catalepsie qui obsédait Poe, mais plus profondément sur le rapport morbide à l’objet de son amour d’un esthète décadent qui admire sa femme comme une œuvre d’art, La Chute de la maison Usher est l’un des grands films de la période expérimentale de la carrière de Jean Epstein, véritable manifeste de l’avant-garde cinématographique française. Epstein se livre à un travail raffiné sur le montage, le cadrage et le défilement des images, avec quelques notables ralentis et surimpressions. Epstein, cinéaste mais aussi théoricien et philosophe fut l’un des pionniers en France – avec Gance et L’Herbier – d’un cinéma de plasticien reposant sur l’expressivité des images, l’inventeur d’un langage cinématographique considéré comme un art poétique. L’utilisation des trucages et des maquettes – la destruction finale du château – et des décors – la gigantesque salle où se morfond Usher, mais aussi les atmosphères brumeuses, l’onirisme de l’apparition nocturne de Madeleine revenue d’entre les morts font de La Chute de la maison Usher un titre important et fondateur du cinéma fantastique, bien avant que Corman et d’autres popularisent l’imagerie gothique et les histoires extraordinaires de Poe à l’écran. La restauration rend justice à l’inquiétante beauté des plans composés par Epstein, dont le talent protéiforme s’investira aussi dans des œuvres documentaires et des films de fiction à la narration et à la mise en scène plus classiques.

La diffusion de La Chute de la maison Usher sur ARTE annonce une série d’événements à venir autour de l’œuvre de Jean Epstein : une rétrospective complète de ses films qui débute mercredi à la Cinémathèque française et se poursuivra jusqu’au 25 mai, un coffret DVD édité par Potemkine réunissant 14 films restaurés pour la plupart en HD, la biographie « Jean Epstein, une vie de cinéma » par Joël Daire, directeur du patrimoine de la Cinémathèque française (édition La Tour Verte), en attendant la ressortie dans les salles, en juin, du Tempestaire, testament du cinéaste réalisé en 1947 et de La Chute de la maison Usher. Ce sera l’occasion de revoir les grands films d’Epstein (Cœur fidèle, La Belle Nivernaise, La Glace à trois faces, L’Homme à l’hispano) et d’apprécier son évolution du « cinéma pur » à des œuvres plus conventionnelles, avec une part de renoncement mais aussi la persistance de certaines recherches formelles dans des productions commerciales, sans oublier la série de films, fictions, essais et documentaires, qu’il consacra à la côte bretonne, ses habitants, ses coutumes et ses légendes, projet d’anthropologie visuelle absolument remarquable.

 

Mercredi 30 avril, 20h, Salle Henri Langlois de la Cinémathèque française. Ciné-concert : ouverture de la rétrospective Jean Epstein avec La Chute de la maison Usher.
Musique composée et dirigée par Gabriel Thibaudeau, interprétée par l’Octuor de France.

Catégories : Actualités · Sur ARTE

Un commentaire

  1. derouet dit :

    Vous dites  » adapte fidèlement la nouvelle d’Edgar Allan Poe ». C’est inexact Epstein indique que son film est inspiré d’après des motifs d’Edgar Poe, son idée effectivement formidable est de croiser à son adaptation de la nouvelle La Chute de la maison Usher, la nouvelle le Portrait Ovale, les deux récits sont présent dans histoires extraordinaires.
    Dans l’adaptation par Epstein Madeleine interprétée par Marguerite Gance est l’épouse de Roderick Usher alors que dans le texte de Poe, Madelaine est la soeur de Roderick Usher.
    Ce déplacement narratif emporte un déplacement thématique. Dans La Chute de la maison Usher de Poe, la mystérieuse maladie qui affectait les jumeaux Roderick et Madeline avait pour origine une malédiction attachée au manoir familial selon une perspective gothique. Un lieu maudit (la fameuse « Maison Usher ») dictait le cours des évènements.
    Par ce choix Epstein évite le thème de l’inceste présent dans la nouvelle.
    L’obsession de Roderick Usher a vouloir peindre le portrait de son épouse aboutie à que celle-ci s’étiole dans une atmosphère lugubre, transmettant le peu de vie qui lui reste au portrait.
    L’utilisation du ralenti ,une innovation technique pour ce film,qui « dépersonnnalise le mouvement » (Deleuze) renforce le rapport au temps d’une manière très angoissante.
    L’utilisation de très gros plans de parties de l’horloge du château pour souligner le passage du temps et donnent l’idée qu’on pénètre à l’intérieur du temps.
    Les instruments du temps n’ont cessé de fasciner les réalisateurs depuis les horloges à figurines qui défilent quand sonnent les heures du Nosferatu de Murnau, du Moulin des supplices …

    A la fois somme et synthèse le film d’Epstein est conçue comme une véritable symphonie visuelle.De part la maîtrise absolue du montage, du rythme, où le ralenti, les surimpressions, les travellings, la caméra mobile font de ce film d’avant-garde, une œuvre quasi expérimentale, et un grand chef d’œuvre du cinéma.

    Je recommande aussi le livre Jean Epstein de Joël Daire La Tour Verte.

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