ARTE Reportage

Dans le pays le plus peuplé du monde, le viol reste un crime massif et impuni. Au cœur des campagnes, en particulier, nombre de jeunes filles, voire de fillettes des plus basses castes, notamment Dalit ou "intouchables", sont victimes de graves agressions, parfois suivies de meurtres, de la part d'homme de castes "supérieures", qui bénéficient d'une très large impunité. Dans un village de l'État conservateur du Gujarat, Kinjal, 17 ans, a ainsi été frappée et violée trois ans plus tôt par le fils du grand propriétaire agricole qui emploie son père. Malgré les menaces de l'agresseur pour lui intimer le silence, l'adolescente a tout raconté à sa famille ; son père, Ramesh, a déposé plainte au commissariat, qui a établi la réalité des faits. Il a ensuite refusé le "compromis" qui lui proposait 100 000 euros et une parcelle de terre pour abandonner les poursuites. Un acte de courage rare, mais un affront pour la hiérarchie sociale impitoyable qui prévaut. La loi, dans le cas d'un viol sur mineur, stipule que le procès doit avoir lieu dans l'année qui suit la plainte, mais Kinjal et les siens voient l'attente s'étirer indéfiniment. Les cheveux de Ramesh, qu'il s'était juré de ne plus couper tant que justice ne serait pas rendue à sa fille, lui descendent désormais dans le dos. Soutenus par Manjula, activiste des droits humains qui a elle-même été violée très jeune, et leur avocat Govind, ils sont enfin convoqués au tribunal d'Ahmedabad...

Quotidien en suspens
Pendant six mois, Antoine Védeilhé (prix Albert-Londres 2024 avec Germain Baslé pour un autre reportage de l'émission, Philippines : les petits forçats de l'or) et Abhijeet Pandey ont accompagné Kinjal et sa famille dans leur quête de justice, filmant leur quotidien en suspens, leurs longs voyages infructueux à la ville, pour s'entendre dire que le jugement a été reporté faute de greffier, ou encore donnant à entendre les hommes du village de l'agresseur, niant tous les faits avec arrogance. Une plongée sensible au cœur de la société indienne, où le poids des traditions et l'indifférence, voire la complicité des autorités, continuent d'assujettir des centaines de millions d'enfants et de femmes à la violence, mais où le combat politique des plus humbles constitue, lui aussi, une tradition bien ancrée.