Manchester by the Sea

Homme à tout faire dans une résidence de Boston, Lee répare, débouche les tuyaux et déblaie la neige en hiver, avant de se réfugier dans son antre, une loge vétuste. À la mort de son frère Joe, marin-pêcheur à Manchester-by-the-Sea, ville côtière où il a grandi, il est désigné comme tuteur de son neveu, Patrick, dont la mère, alcoolique et dépressive, s’est évaporée. Désemparé, il se résigne à embarquer l’adolescent dans sa solitude, mais Patrick résiste, résolu à vivre, aimer et naviguer, au-delà du chagrin. Entre silences têtus et pudique tendresse, l’un et l’autre cheminent sur des voies parallèles en tentant de se croiser, alors qu’un drame effroyable hante Lee.

La douleur comme compagne
Dans les marges de l’Amérique, cet élégant mélo sur fond d’échappée océanique se décline en allers-retours entre présent et passé, mosaïque recomposée d’éclats de vie – la joie enfantine de Patrick lors d’une partie de pêche en bateau, la puissante complicité d’une fratrie ou le rythme indolent d’une famille – où la mort surgit par effraction pour tout déconstruire. Cinéaste américain aux films rares, Kenneth Lonergan brosse, par petites touches, ses personnages de peu de mots, à la manière d’un peintre, dévoilant avec une profonde sensibilité les tourments qui les rongent en se gardant d’exhiber leur intimité. Corps aux gestes mécaniques replié dans des vêtements d’hiver, Lee survit. Sourdement enfermé dans sa tragédie tardivement révélée, il peine à accueillir l’irruption de la force vitale de Patrick, par crainte de trahir sa douleur, seule compagne qu’en être laminé il tolère. Duo malgré tout uni dans le deuil, oncle et neveu se protègent l’un l’autre en secret, dans l’ombre de leurs affrontements, l’adolescent refusant de différer l’inhumation jusqu’au dégel de la terre. Avec un Casey Affleck oscarisé bouleversant de douleur contenue, un film d’une grâce absolue.