Olivier Père

BIFF 2013 : Snowpiercer, le transperceneige de Bong Joon-ho

Le nouveau film de Bong Joon-ho est déjà sorti cet été en Corée – avec un très grand succès – mais le BIFF (Busan International Film Festival) lui a accordé une soirée de gala bien méritée, pour saluer la réussite extraordinaire du film, en offrir la projection aux spectateurs étrangers du festival et profiter de la présence de Bong Joon-ho à Busan qui a répondu aux questions du public. C’est à cette occasion que nous avons pu le découvrir, avec beaucoup d’enthousiasme et d’émotion.

Memories of Murders, The Host, Mother : Bong Joon-ho ne nous a jamais déçu. Snowpiercer, le transperceneige confirme qu’il est un très grand réalisateur – l’un des meilleurs aujourd’hui – et aussi un cinéaste visionnaire capable de surprendre, de bouleverser et d’inquiéter avec un film de science-fiction, genre cinématographique tellement galvaudé aujourd’hui avec trop de blockbusters sans âme ni imagination. Snowpiercer, le transperceneige, c’est tout le contraire : un film débordant d’idées, d’intelligence, de talent, un film de pure mise en scène qui permet à Bong Joon-ho de renouveler son style – science-fiction post apocalyptique et bande dessinée obligent – tout en conservant la maestria de son style, un génie pour les morceaux de bravoure qui vous remuent les tripes sans céder à la pyrotechnie facile, et un humanisme pessimiste et sans illusions, très critique envers les dirigeants, même s’il choisit de clore ce film très sombre et très violent – dans certaines de ses images mais surtout dans son propos – sur une note d’espoir.

2031. Une nouvelle ère glaciaire. Les derniers survivants ont pris place à bord du Snowpiercer, un train gigantesque condamné à tourner autour de la Terre sans jamais s’arrêter. Dans ce microcosme futuriste de métal fendant la glace, s’est recréée une hiérarchie des classes contre laquelle une poignée d’hommes entraînés par l’un d’eux tente de lutter. Curtis va devenir le leader d’un groupe de résistants décidés à enfreindre les lois de cette dictature sur rail, répondant à la violence par la violence et partis à la découverte du secret du train – qui le conduit, et comment? – en traversant un par un les nombreux wagons semés d’obstacles mortels, peuplés de personnages grotesques et terrifiants (mention spéciale à celui de Tilda Swinton), remontant un espace confiné mais aussi le temps et, c’est l’une des lectures possibles du film, l’Histoire de l’humanité, prise dans une course effrénée qui ne mène nulle part.

L’idée d’un film entièrement tourné à l’intérieur d’un décor de train implique des partis-pris de mise en scène exceptionnels et Bong Joon-ho imagine des cadres et des angles de vues qui optimisent ces décors hallucinants – l’ambiance des compartiments évolue au fur et à mesure que les héros progressent vers la tête du train et retranscrivent l’enfermement des personnages, avec une extraordinaire utilisation, très expressionniste, du gros plan. Ce film train encourage aussi plusieurs allégories cinématographiques, sexuelles, politiques qu’il accueille avec générosité.

Des entrailles de la queue du train, où grouille une cour des miracles digne de Victor Hugo, Gorki et Dickens, jusqu’à la locomotive cerveau à l’espace épuré et inquiétant (kubrickien), ce sont deux siècles d’oppression de l’homme par l’homme, avec les fantômes des totalitarismes, de l’horreur concentrationnaire, de la violence de classes qui perdurent dans une société futuriste réduite à sa plus simple expression.

Le film, bouleversant à tous points de vue et un des meilleurs de l’année, sort en France le 30 octobre.

Snowpiercer, le Transperceneige

Snowpiercer, le transperceneige

Chris Evans

Jaime Bell et Chris Evans

Tilda Swinton

Tilda Swinton

Propos de Bong Joon-ho recueillis à Busan le 8 octobre

« Le film est sorti en Corée dans sa version originale « director’s cut » et ce sera aussi le cas en France, au Japon et à Taiwan. Mais dans les pays anglo-saxons, Etats-Unis, Angleterre, Canada, Australie, Nouvelle Zélande, partout où les droits de distribution sont détenus par The Weinstein Company, on verra une version plus courte de vingt minutes que je n’approuve pas. Nous sommes actuellement en discussion avec The Weinstein Company pour essayer d’empêcher cela.

C’est un film à gros budget avec des acteurs de différents pays, et le tournage a été très long. Depuis le moment où j’ai eu envie de faire ce film et sa sortie, beaucoup de temps a passé. J’ai découvert la bande dessinée française « Le Transperceneige » en 2005. A l’époque je préparais The Host et Mother, mais j’ai rapidement acquis les droits de la bande dessinée. Durant les années qui ont suivies je me suis concentré sur The Host et Mother, mais je n’arrivais pas à oublier l’histoire du Transperceneige.

La bande dessinée originale était très longue, et je devais faire un film de deux heures. Au lieu de couper dans le matériau original, j’ai préféré réécrire l’histoire pour l’adapter au grand écran. J’ai écrit un scénario et établi un story-board très détaillé, qui correspond précisément à ce que l’on voit dans le film.

Le budget et le temps de tournage étaient limités, donc tout devait être parfaitement organisé.

Le film a coûté 40 millions de dollars mais par rapport à ce que nous montrons à l’écran et à d’autres productions de ce genre c’était un budget très serré : mais j’ai réussi à filmer presque tout ce qui était prévu dans le script.

Filmer, diriger une équipe, c’est mon boulot. Mais je suis très renfermé et timide dans la vie de tous les jours.

J’avais déjà eu des expériences de travail en langue étrangère (le film a été tourné en anglais et en République Tchèque avec une distribution et des capitaux internationaux, ndr) puisque les effets spéciaux de The Host avaient été réalisés par des équipes américaines et australiennes. J’ai aussi signé un épisode du film Tokyo ! avec une équipe et des comédiens japonais. J’ai beaucoup aimé travailler avec eux. Au début il y avait une traductrice mais très rapidement nous avons réussi à nous comprendre, à exprimer des émotions. L’interaction entre un réalisateur et ses acteurs est très importante, et ce n’est pas une question de langue. Même si vous ne travaillez qu’avec des Coréens, la communication peut échouer. L’essentiel est de partager les mêmes visions, les mêmes sentiments.

Dans ce film tous les personnages ont leurs raisons et leurs motivations. Curtis (personnage central du film, interprété par Chris Evans, ndr) est porté par une vision, mais elle a ses limites : quoi qu’il fasse, il reste enfermé à l’intérieur du train. Il est aussi traversé par des contradictions. Personnellement dans le film je m’identifie au personnage de Namgoong Minsu interprété par Song Kang-ho (photo en tête de texte, acteur fétiche de Bong Joon-ho et star du cinéma coréen, vu dans Memories of Murders, The Host, Secret Sunshine, Le Bon, la Brute et le Cinglé, Thirst, ceci est mon sang, ndr.) »

Bong Joon Ho

Bong Joon-ho

 

 

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