Olivier Père

Antonio Margheriti, le troisième homme du cinéma populaire italien

Antonio Margheriti, plus connu sous le nom d’emprunt d’Anthony M. Dawson, est décédé le lundi 4 novembre 2002 à Rome, à l’âge de 72 ans. La maladie l’avait empêché de venir à Paris puis à Montpellier assister aux hommages consécutifs qui lui étaient rendus à la Cinémathèque française et au Festival du film Méditerranéen, à peine quelques jours avant sa mort.
Nous étions allés le voir à Rome en été 2002, avec mon ami et futur collègue de la Quinzaine des Réalisateurs Christophe Leparc (secrétaire général de la manifestation cannoise) afin de lui soumettre ce projet de rétrospective. Déjà très fatigué, il espérait trouver encore la force d’effectuer ce dernier voyage de l’autre côté des Alpes, dans un pays qui a très tôt adressé à Margheriti des signes de sympathie et d’estime. Ainsi, Danza macabra (Danse macabre, 1964, photo en tête de texte) fut dès sa sortie en France (dans une version censurée) considérée comme un des sommets du cinéma fantastique italien, à égalité avec Le Masque du démon de Mario Bava et L’Effroyable Secret du prof. Hichcock de Riccardo Freda. Le critique Jean-Pierre Bouyxou a écrit à propos de Danse macabre « un film démentiellement onirique, érotique et beau, un film qu’il ne faut pas hésiter à qualifier de génial ». Dans son mythique essai sur la Science-fiction au cinéma, Bouyxou accorde une place importante aux films de SF de Margheriti et réalise le premier entretien sérieux avec le cinéaste. Jusqu’à Il mondo di Yor (Yor, le chasseur du futur, 1983), les films de Margheriti furent accueillis avec indulgence, même si le cinéaste ne trouvait plus dans les imitations d’Indiana Jones un matériau suffisamment intéressant pour aboutir à des œuvres satisfaisantes. Malgré une carrière honorable et régulièrement parsemé de bons films (Con la rabbia agli occhi – L’Ombre d’un tueur avec Yul Brynner, Apocalisse domani – Pulsions cannibales avec John Saxon, …), Margheriti restera à tout jamais comme le troisième homme du cinéma fantastique italien, juste derrière Bava et Freda.
Il fut une époque, de la fin des années 50 au milieu de la décennie suivante, où la production cinématographique européenne « bis » (terme qui désigne les films à petits budgets destinés aux publics des salles de quartier) fit subir au cinéma de genre de passionnantes mutations. En Italie, fidèles à une tradition de l’excès baroque, des cinéastes ajoutèrent aux thèmes classiques du fantastique et à l’esthétisme des films d’horreur anglais de la Hammer une outrance sadique et un érotisme typiquement latins. Davantage que ses aînés Mario Bava (trop obsessionnel) et Riccardo Freda (trop aristocrate), Antonio Margheriti fut le représentant idéal de la série B transalpine, comparé au début de sa carrière à Roger Corman, artisan inspiré d’un cinéma populaire bien vivace jusque dans les années 80. Il est temps et justice de rendre hommage à Antonio Margheriti et de souligner les qualités visuelles des films d’un cinéaste trop modeste, qui se dissimula presque toute sa carrière sous le pseudonyme anglo-saxon d’Anthony M. Dawson. Margheriti incarna l’idée la plus haute de l’artisanat cinématographique, capable de s’adapter aux contraintes drastiques de la série B italienne et de déployer des trésors d’imagination et de savoir-faire. Aussi talentueux que versatile, il compte des réussites dans tous les genres, suivant la mode et la demande : péplum, espionnage, conte oriental, western, giallo, polar, film de guerre ou d’aventures. Mais c’est dans la science-fiction et le fantastique gothique qu’il gagna instantanément ses lettres de noblesse. Il a su s’acquitter de ces nombreuses commandes tout en se démarquant de ses confrères par un décalage subtil mais presque permanent entre la demande du marché, ses aspirations personnelles et son goût du baroque et du fantastique. Chez Antonio Margheriti, le western à l’italienne se teinte de mystère. Sa plus belle réussite dans ce domaine demeure E Dio disse a Caino (Et le vent apporta la violence), en 1969. Cette histoire de vengeance, qui baigne dans une atmosphère nocturne et cauchemardesque, s’apparente en effet aux récits d’épouvante gothique. Klaus Kinski, étonnamment sobre en ange exterminateur, hante les plans avec son intensité habituelle. La multiplication gratuite d’effets photographiques déstabilisants (zoom, grand-angle, plongée et contre-plongée vertigineuses…) suscite une torpeur malséante. On retrouve dans Et le vent emporta la violence les thèmes de l’enfermement et de l’autodestruction qui traversent discrètement la filmographie du cinéaste, de Contronatura (son film le plus personnel) à Apocalisse domani (Pulsions cannibales) ou L’ultimo cacciatore (Héros d’apocalypse) réalisés tous les deux en 1980.
Un chapitre entier mériterait d’être consacré à Pulsions cannibales, chef-d’œuvre de cinéma « grindhouse » adulé par Tarantino et qui prouve que les contingences absurdes du commerce et de la série Z (mélanger les ingrédients du film de vétérans du Vietnam, de cannibales et de zombies) peuvent accoucher d’un excellent film d’horreur, à l’atmosphère poisseuse et nihiliste de guérilla urbaine, qui réunit les qualités des films de Romero et de Cronenberg première période à la sauce du cinéma d’exploitation italien, et qu’un DVD a permis de (re)découvrir dans un montage intégral.
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Pionnier en Italie du « Space Opera », il signe au début des années 60, avec des budgets très réduits et une imagination débridée, une série exemplaire (mais sans réelle postérité) de films de science-fiction inventifs et colorés : Space men, Il pianeta degli uomini spenti, I criminali della galassia, I Diafanoidi vengono da Marte, Il pianeta errante et La morte viene dal pianeta Aytin, tous inédits en France. Margheriti accorda tout au long de sa carrière un vif intérêt à la conception des trucages et des maquettes de ses films, et obtint dans ce domaine une flatteuse réputation. Il fut contacté par Kubrick lors de la préparation de 2001 : l’odyssée de l’espace, supervisa les tournages et les effets spéciaux sanguinolents des deux formidables films de Paul Morrissey sur Frankenstein et Dracula et filma la séquence finale du déraillement du train dans Giù la testa (Il était une fois… la Révolution) de Sergio Leone. Margheriti a également signé quelques-uns des plus beaux films d’horreur italiens : Danse macabre (son chef-d’œuvre, une histoire de maison hantée racontée par Edgar Allan Poe lui-même), La vergine di Norimberga (La Vierge de Nuremberg, 1963) et I lunghi capelli della morte (La Sorcière sanglante, 1964), où Barbara Steele interprète comme à son habitude un spectre vindicatif. La morte negli occhi del gatto (Les Diablesses, 1973), la perle rare de la filmographie de Margheriti, est un récit anachronique de morts violentes dans un château où l’on a la surprise de découvrir Jane Birkin dans le rôle principal et Serge Gainsbourg en improbable inspecteur de police. Margheriti affectionne à partir des années 60 le mélange des genres, devenant un spécialiste des cocktails cinématographiques les plus inattendus : western fantastique, péplum fantastique mais aussi western kung-fu, western « blaxploitation » et kung-fu comique. Cette prédilection ironique pour le panachage atteindra son point culminant en 1983 avec Il mondo di Yor (Yor, le chasseur du futur), mixture ahurissante de La Guerre du feu et de La Guerre des étoiles, et nadir apocalyptique du cinéma bis italien que j’eus le douteux privilège de découvrir en salles lors de sa sortie en province.

Ce week-end, nous publierons l’entretien que nous avait accordé Margheriti sur l’ensemble de sa longue carrière dans son bureau romain, en 2002.

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