Une étrange affaire (1981) de Pierre Granier-Deferre, tiré du roman de Jean-Marc Roberts Affaires étrangères, offre à Michel Piccoli l’un des meilleurs rôles de sa carrière. L’acteur interprète Bertrand Malair, un mystérieux chef d’entreprise qui prend en main l’enseigne d’un magasin parisien. Le film décrit la relation d’emprise qu’établit Malair avec Louis Coline (Gérard Lanvin), un jeune cadre du service publicité, fasciné par son nouveau patron et manipulé par lui, au point de mettre en péril le couple heureux qu’il forme avec Nina, interprétée par Nathalie Baye.
Dans une scène du film, Nina, qui exprime un point de vue critique en face de son mari aveuglé par son extase, décrit Malair à la perfection : « Abstrait. Omniprésent. Comme Dieu. »
Cette définition se vérifie dans le comportement et l’être-au-monde de Malair, son art d’apparaître et de disparaitre, de différer son arrivée dans les bureaux alors que tout le monde parle de lui, d’envahir l’espace privé du jeune cadre et de contraindre sa garde rapprochée à partager le sien, sans aucune limite. Le personnage de Malair est clairement présenté comme un vampire, qui dépossède ses proies de leur volonté et les soumet à son bon plaisir, mais aussi comme un libertin. Avec Malair, Piccoli prolonge les créations de Husson dans Belle de jour et du comte de Saint-Germain dans Benjamin ou les mémoires d’un puceau. Le libertin selon Malair/Piccoli est moins celui qui jouit sans entraves de sa propre liberté que celui qui prend plaisir de priver sa victime de son libre-arbitre, en le plaçant sous son contrôle et en en lui imposant un rapport de soumission maître-esclave. Une étrange affaire est aussi l’histoire d’une relation père-fils pervertie. Dans Une étrange affaire, Piccoli incarne génialement le mauvais père, qui trouve en Louis la victime idéale, puisque le jeune homme immature souffre d’avoir connu dans son enfance une figure paternelle absente et défaillante. Le film de Pierre Granier-Deferre constitue le point culminant de la carrière du cinéaste, mais aussi de celle de Piccoli, dans le registre souvent fréquenté de l’homme dominateur et ambigu, dont l’influence néfaste perdure bien après sa volatilisation soudaine – Louis rêve qu’il tue Malair, tout en souhaitant ardemment son improbable retour.
Le film de Granier-Deferre marque une forme de consécration pour Michel Piccoli, qui remporte l’Ours d’argent à la Berlinale en 1982, deux ans après le prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes pour Le Saut dans le vide de Marco Bellocchio, l’autre grand rôle de l’acteur en ce début de décennie. Meilleur rôle de Gérard Lanvin en homme-enfant subjugué par une figure paternelle providentielle. Jean-Pierre Kalfon et Jean-François Balmer excellents en assistants de Malair, ses âmes damnées chargées des basses besognes et qui forment un véritable duo comique.
Sortie en BR dans la collection « nos années 80 » chez Studiocanal.
Film projeté à la Cinémathèque française le jeudi 13 février 2025 à 19h.
Un chef d’oeuvre du cinéma Français . D’une qualité d’écriture exceptionnelle et intemporelle et interprété à la perfection . Piccoli est au sommet de son art et de son ambiguité , maitrisant chaque émotion à la perfection . Le film a du faire un four mais ceux qui l’ont vu savent à quel point il est incroyable .