Barfly (1987) est le film qui inaugure la carrière américaine de Barbet Schroeder, cinéaste voyageur à la curiosité insatiable. Dans ce film tourné à Los Angeles, Schroeder rend hommage à la prose poétique de Bukowski, écrivain dont il était devenu l’ami et qu’il avait convaincu d’écrire un scénario pour lui, malgré son aversion pour le cinéma. Le résultat est excellent, moins un film sur l’alcoolisme et la déchéance que sur le refus de jouer le jeu social de la réussite et de l’intégration. Chinaski, double de Bukowski, est une sorte de dandy des bas-fonds, qui choisit de mener une vie chaotique et misérable, dans un état d’ébriété permanent. Il croise un ange déchu en la personne de Wanda, pilier de bar comme lui avec laquelle il engage une relation amoureuse. Film américain atypique, qui tord le cou à la narration hollywoodienne et avance avec la nonchalance funambulesque de ses personnages, entre trottoirs et chambres d’hôtel, soleil californien et pénombre des refuges pour ivrognes.
Barbet Schroeder, cofondateur des Films du Losange, est un cinéaste talentueux et passionnant, qui est parvenu à appliquer les théories et les révolutions techniques de la Nouvelle Vague dans des projets de films très aventureux, qui sont toujours allé à l’encontre de l’autobiographie ou de l’adaptation littéraire. Cinéaste caméléon, il peut aussi bien réaliser un documentaire en Birmanie qu’un thriller à Hollywood. La transgression, la tentation des gouffres et l’expérience des limites sont les grands sujets de Barbet Schroeder qui s’est souvent intéressé à des personnages marginaux, qui s’excluent eux-mêmes de la société par des obsessions morbides, des comportements suicidaires ou dangereux (drogue, sadomasochisme, jeu…) Disciple de Rohmer, Rossellini et Rouch, il est attaché à la notion de réalisme et pose un regard d’ethnologue sur les questions qu’il aborde dans ses films. Barfly ne déroge pas à la règle et brosse le portrait de déclassés attachants, clochards célestes qui possèdent l’humour du désespoir. Superbe interprétation de Mickey Rourke et Faye Dunaway. Mise en scène inspirée de Barbet Schroeder qui capte bien l’atmosphère de Los Angeles, au ras du bitume, aidé par le grand directeur de la photographie Robbie Müller.
Barfly était devenu difficile à voir depuis sa présentation au Festival de Cannes et sa sortie en salles en 1987, rarement projeté, encore plus rarement diffusé à la télévision et indisponible en support physique. ESC répare une injustice et permet de redécouvrir ce beau film, accompagné de suppléments complets et de qualité, dans lesquels Schroeder éclaire la génèse rocambolesque de ce projet qui mit près de huit ans à voir le jour, finalement produit par la Cannon, et qui doit son existence à la détermination sans limites du cinéaste, qui balaya tous les obstacles.
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